42. Le retour du Chasseur

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Alors que je mets les mains dans les poches de ma jupe en jean, mes doigts rencontrent mon téléphone. Je pense au message de Fred : Il faut qu'on parle !

Mais de quoi ? A-t-il des remords, ce chasseur ? Est-ce qu'on peut se réconcilier ? Est-ce que mon cœur est assez grand pour lui pardonner ? Je ne sais pas. Après avoir croisé Laurine et son manque total d'empathie ou de regrets, je crains que Fred soit sur la même ligne.

J'ai trop de tristesse et de rancœur pour me calmer. Pourtant, croire que tout ce que nous avons vécu, nos soirées ensemble, nos sourires, était un pur mensonge est trop insupportable. Tout ne peut pas être « faux ». On ne se met pas en couple pour jouer, n'est-ce pas ?

Avant d'être mon petit ami, Fred était mon ami. Sérieux, renfermé, toujours à graviter autour de Laurine, mais mon ami tout de même. Ce n'est pas une personne méchante ou calculatrice. Je ne peux pas croire qu'il ait réussi à fomenter un plan aussi atroce. Qu'il m'ait caché par lâcheté ses sentiments inavoués pour ma coloc, ça oui, ça ne m'étonne pas trop de lui. Il a toujours eu ce côté autruche, préférant mettre la tête dans un trou plutôt que de regarder la réalité en face. Il mettait entre lui et le monde, un appareil photo. Ses photos étaient « clichés » (sans mauvais jeu de mots) : ce n'était pas la réalité mais quelque chose de détourné. Une vision déterminée de ce qu'il avait décidé de voir plutôt qu'une prise de vue réelle. Il retouchait toujours tout sur ordinateur.

Au fond, nous ne sommes pas si différents. Moi aussi, je fuis la réalité. Entre moi et le monde, il y a mes illustrations, mes crayons, mes montages, mes petits bruitages et mes drôles d'avatars. Ma vision du monde est douce et enfantine. Je vis dans l'univers que je crée.

Mais mentir, manipuler... Ça, je n'aurais jamais pu. Je suis prête à écouter ce qu'il a à dire. Je suis convaincue qu'il y a une logique à tout cela. S'il me présente des excuses, s'il m'explique... Peut- être que j'arriverai à lui pardonner ? Je ne veux pas faire une croix sur tous les gens qui m'entourent simplement parce que je suis en colère. Je vais faire un effort. Enfin, je peux essayer. Un petit peu ?

Les doigts tremblants, je réponds au message de Fred en lui donnant rendez-vous devant les portes de l'allée privée. Ça me permettra de couper court à la discussion si cela se passe mal, en prétextant que j'ai des choses à faire pour mon patron.

Mon cœur bat dans mes tempes. J'ai peur. Peur de ce qui va se passer. J'essaie d'être logique et de laisser une chance à Fred, mais je crains de ne pas être assez forte pour supporter son regard plein de mépris...

En réalité, je ne veux pas vraiment d'excuses de sa part. J'aimerais que Fred me dise que je compte quand même un peu pour lui. Même juste un tout petit peu.

Armée de tout mon courage, j'attends Fred devant l'allée privée.

J'ai peur. Le fer forgé noir de la grille s'imprime dans la paume de ma main, qui s'y cramponne. C'est plus la grille qui me maintient debout que mes propres jambes.

— Salut !

— Fred, tu es déjà là ? Tu as fait vite, dis-je du ton le plus léger que je peux.

Il regarde l'autre côté de la rue. Il fuit mon regard et me tend un sachet en plastique.

— J'avais encore des trucs à toi chez moi. Je te les ramène.

J'ai du mal à respirer. Est-ce sa manière de me dire « Adieu,je te rejette de ma vie. Voici ce qui restait de toi : tout tient dans un mini-sac-poubelle » ?

— Bon, tu le prends ?

Le sac, au bout de son bras tendu vers moi, ballotte dans les airs. J'ai envie de m'enfuir.

— Fred, tu voulais me voir pour ça ? Tu n'as rien d'autre à me dire ?

— Te dire quoi ? Que, depuis que tu es partie, tous mes amis me font des commentaires sur tes nouvelles fréquentations et tes activités étranges ? Tu t'es bien moquée de moi ! Quand je pense que j'ai eu de la peine pour toi. Mais tu sais faire la fête, comme si de rien n'était.

— Pardon ?

— Au final, tu te fichais bien de moi.

— Quoi ? Mais qu'est-ce que tu dis ? Je n'aurais jamais... Et puis c'est toi qui t'es servi de moi, comment as-tu pu ?

— Ne me fais pas la morale, Blanche. Tu crois que je n'ai pas vu les photos de toi en boîte qui circulent sur pomme-d'amour ?

Oh... les photos de moi en boîte de nuit, au brunch et celle avec Matthias ?

— Mais non ! je ris sans comprendre sa colère. Cela n'a rien à voie avec...

— Ça t'amuse ? crie-t-il tout à coup.

Il s'approche de moi, l'air furieux. Je ne l'entends plus, mon cœur s'est arrêté. Il me lance le sachet et je le laisse tomber à mes pieds, sans savoir comment réagir.

— Tu es méprisable !

— Moi ? je fais un pas vers lui et le repousse d'un coup de ma main sur son épaule. Moi ? je recule. N'inverse pas les rôles ! C'est toi qui me trompes avec ma meilleure amie. Ne viens pas me faire des reproches si je vois d'autres personnes. Ne viens pas me critiquer alors que j'essaie de m'en sortir ! C'est trop facile. Si tu crois que je vais m'écraser et te supplier de revenir dans ma vie : c'est raté.

— Tu sors avec n'importe qui maintenant ?

— Et alors ? Tu viens me faire du slutshaming ou une crise jalousie ? Dans les deux cas, c'est toi qui devrais avoir honte, pas moi. Tu ne sais rien de ma vie actuelle, toi tu t'es contenté de fuir à l'autre bout de la France, sans même prendre de mes nouvelles. Sans aucun remord ! Reste donc en couple avec Laurine ! Tous mes vœux de bonheur !

— Blanche, je ne... Laurine n'est pas ma petite amie, elle...

— Quoi ? Elle t'a déjà quitté ? Et tu reviens vers moi par dépit ?

— C'est toi ma petite amie, voyons.

Il tente de saisir ma main et attrape mon poignet à la place.

— Après des jours de silence, tu reviens comme une fleur et je devrais reprendre le cours de notre relation, comme si de rien n'était parce tu l'as décidé ? Jamais !

Je le déteste ! je ne suis pas une remplaçante ou une roue de secours. N'ai-je aucune valeur à ses yeux.

— Blanche, c'était une erreur de ma part.

— Lâche-moi !

— Ecoute-moi, au moins.

— C'est trop tard ! Lâche-moi, je me débats.

Je trébuche et mes genoux touchent violemment le bitume, la douleur est brusque et je ne vois rien pendant quelques instants entre mes larmes et mes cheveux qui tombent sur mon visage. J'ai mal. J'ai tant de rage ! Soudain, je vois surgir une ombre. Je reconnais furtivement une silhouette.

Puis Fred est brusquement projeté à terre. Il lève le bras pour se protéger des coups. La silhouette noire le frappe d'un coup de pied dans les côtes et il pousse un cri de fauve. Il me faut un certain temps pour réagir et me lever.

— Arrête ! Arrête ! supplie Fred.

Je me relève et m'élance vers le poing levé de l'homme en noir. Il va tuer Fred. Pourquoi est-il intervenu ? Pourquoi est-il là ?


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