Chapitre 3 - Partie 1

229 24 4
                                    

Enorme. Il n'y avait pas d'autre mot. Cette baraque était absolument énorme.

— Ferme la bouche ou tu risques de baver.

— Je ne bave pas, répliquai-je en passant quand même le dos de ma main contre mes lèvres.

Rylan haussa un sourcil, retenant à peine son rictus. J'allais pour me défendre lorsqu'un bras se posa sur mes épaules.

— Ne rentre pas dans son jeu, elle sait très bien que tu fonceras tête baissée dedans et c'est ce qui l'amuse.

La voix de Glen, si proche de mon oreille, me fit frissonner. Ses yeux accrochèrent les miens dès qu'ils se croisèrent. C'était comme plonger dans une eau fauve aux mille et un reflets ; chaleureux, accueillant et réconfortant. M'y perdre, c'était contempler cet or liquide que le soleil rendait toujours plus beau. J'y sautai avec plaisir, confiance et aveuglement. J'adorais Glen, bien que son côté tactile me perturbait parfois.

Devant nous se dressait une maison à trois étages, la façade bleue, soutenue de colonnes blanches. Un perron couvert s'étalait sur la longueur de l'avant de la maison, précédé d'une allée botanique à la coupe parfaite. Il y avait même une tourelle. Une tourelle quoi !

Comme tout bon américain, le drapeau du pays flottait à côté de l'élégant panneau planté dans le jardin avant, où des dorures indiquaient « Welcome to the Wright family ». Impossible de se tromper de maison, donc. Quoi que, le son des basses résonnant dans l'air était un autre indice non négligeable. Le bataillon de jeunes se rendant à l'arrière de la bâtisse, bière à la main, en était un autre.

Partie devant, Rylan ne se gêna pas pour ouvrir la porte sans toquer ni sonner. La musique rugit depuis le salon et avec Glen, nous rattrapâmes notre amie, déjà mêlée à la foule intérieure.

La nuit n'était pas encore tombée et il y avait un monde aussi énorme que cette baraque. Une tonne de visages inconnus, se déhanchant au milieu du salon, discutant dans la cuisine, ou fumant à l'extérieur – pour les plus respectueux. La myriade de couleurs me donna mal à la tête. Ou peut-être était-ce l'odeur de fumé, combinée aux parfums, la sueur, la bouffe et l'alcool qui me montait trop vite à la tête.

J'avais perdu Rylan des yeux et dans une bousculade involontaire, faillis être séparé de Glen. Il se frayait un chemin parmi ces gens plus exubérant les uns que les autres. Des camarades de promos pour lui, sans doute des deuxièmes et troisièmes années aussi, peut-être même de nouveaux entrants. Les étudiants en art avaient cette réputation d'extravagance qu'on retrouvait moins dans les autres départements. Comme si l'art passait d'abord par l'expression de soi sur soi, avant d'être reporté sur une feuille, une toile ou un bloc d'argile. Glen ne rentrait pas dans ce cliché ; pas de coupe de cheveux délirante à la couleur excentrique, pas d'habits de mille couleurs ou tout au contraire, entièrement de noir, pas de piercings ou tatouages à profusion. À bas les stéréotypes de l'artiste torturé, antisocial, au look folklorique. C'était bon pour les années 90 tout ça, même si certaines personnalités ressortaient plus ce soir que d'autres.

Il n'y avait pas que des étudiants du département d'art et d'histoire de l'art. Rylan et moi y étions, après tout. D'après Glen, les biologistes savaient tout aussi bien faire la fête. Je ne pouvais que le croire.

Nous arrivâmes dans la cuisine, tout aussi impressionnante que le reste. Si l'armée d'étudiants m'avait sauté aux yeux, la déco de la maison ne pouvait pas passer inaperçu. Tout criait l'aisance financière avec un savant mélange entre cachet historique et touche de modernité. J'avais peur de toucher à quoi que ce soit, le casser, et ne plus pouvoir aller à la fac à cause d'une dette aussi stupide. Sur l'ilot central, des dizaines de bouteilles y trônaient. Deux énormes saladiers étaient remplis de liquide et de morceaux de fruits, dans lesquels des louches barbotaient, oubliées par les fêtards qui préféraient directement plonger leur verre dedans. Je savais ce que je n'allais pas boire. Et à bien y regarder, j'avais peu de choix.

Glen se retourna sans que je n'entende ce qu'il me dit.

— Quoi ?

— Qu'est-ce que tu veux boire ?

Je haussai les épaules et Glen tira deux gobelets en carton pour les remplir d'un liquide pétillant. Je pris celui qu'il me tendit, pas certain qu'il m'entende le remercier. De la limonade. De quoi commencer la soirée calmement.

À l'étroit dans la cuisine – c'est dire le monde présent malgré sa taille – nous nous faufilâmes pour atteindre le salon où les baies vitrées étaient ouvertes en grand. La musique y était assourdissante et la soirée à peine entamée. Dehors, l'air tiède de septembre rafraichit mon visage brûlant de cette chaleur humaine. La terrasse était surpeuplée et le jardin immense. Une piscine creusée ponctuait de bleu cette marrée verte. Des transats, une table directement coupée à même le tronc d'un arbre et même un hamac tendu entre deux grands arbres, permettaient aux invités de prendre leurs aises. Des snacks en tout genre accompagnaient les boissons, toujours plus nombreuses. Au bord de la piscine, quelques pieds s'y baignaient, mais personne encore n'avait décidé de piquer une tête.

Je suivis Glen jusqu'à un coin plus tranquille, curieux de le voir évoluer avec aisance au milieu de tout ça. Nous nous assîmes au bord de la terrasse, là où les murs étouffaient la musique, à l'opposé de la table où tous les affamés – ou plutôt assoiffés – se jetaient. Rien de tout ça ne m'était familier. Que ce soit la fête, le monde et même le visage de ces gens. Pas un seul ne me revenait. J'étais prêt à parier que Rylan et moi étions les seuls du département de comptabilité.

— Du coup, commençai-je pour faire la conversation, tu connais la personne qui habite là ?

— De vue. Il est en spécialité sculpture.

Glen but une gorgée tout en observant le jardin. Les arbres étaient hauts, les résineux plus verts que leurs collègues dont les feuilles jaunissaient avant l'heure à cause des températures élevées de l'été. La pelouse, bien que majoritairement verte, avait grillée par endroit. Aucune pomme de pin ne tâchait la terre au pied des arbres, et les rares feuilles déjà tombées l'étaient depuis peu. Les parterres de fleurs avaient le droit à un arrosage quotidien et au fond, caché par un gros pin, un cabanon en bois devait abriter tout le matériel de piscine.

— Ah bon ?

— Tout le monde sait que Hunter est un connard. Mais les fêtes chez lui sont sympas.

— Parce qu'il a une piscine ? hasardai-je en portant à mes lèvres mon gobelet.

— Ouais. Et parce qu'il est populaire.

Tellement que je ne le connaissais pas. Enfin, Glen devait parler des filles. Qui ne rêvait pas de sortir avec un gars plein aux as à la réputation sulfureuse ? Bon, peut-être que ce n'était plus d'actualité, que la période des bad boys, même dans les romances, était révolue car problématique d'un point de vue sociologique. Moi-même, je ne créais pas de protagoniste masculin cochant toutes les cases du bad boy torturé à la tête du lycée qui s'amourache de la nouvelle arrivée, la fille pas comme les autres. Je préférais largement donner vie à une romance douce, avec un personnage masculin bienveillant, parfois même l'ami de l'héroïne, offrant une histoire cocooning et qui fait du bien au moral.

Mes pensées s'envolèrent lorsque Glen toucha ma cuisse pour attirer mon attention. Il leva son gobelet en direction de la piscine, m'indiquant un grand blond qui venait de retirer son tee-shirt.

— Assez populaire pour avoir Grayson Hill dans sa piscine.

Ce nom ne m'était pas inconnu. Ou alors était-ce son visage. Mais où déjà ? J'observai ce type foutrement bien fait, sauter dans la piscine sous les yeux pétillant d'une dizaine de filles à la limite de l'hystérie. Aussi cliché qu'une pub pour du shampoing, Grayson surgit de l'eau et secoua sa tignasse en un mouvement de tête sexy sur lui mais sans aucun doute ridicule pour quiconque n'était pas au moins moitié aussi beau.

Glen termina d'un coup son verre, se releva, une main tendue. Il m'aida à me remettre sur mes pieds, ajoutant :

— C'est pas tout, mais on est là pour s'éclater.

Nos Amours aux Parfums de GlaceWhere stories live. Discover now