Chapitre 19 - Partie 1

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Cette journée semblait ne pas vouloir s'arrêter. Comment le temps pouvait-il être aussi long ? S'écouler avec tant de lenteur ? Chaque seconde qui passait, ce « tic », ce « tac », ce « tic », ce « tac », toujours plus lourd, toujours plus sourd.

Encore.

Tic. Tac.

Tic. Tac.

Etiré à l'infini.

Tic. Tac.

Tic. Tac.

Ting !

Je bondis du siège, Isaac non loin, et Tim trop calme, trop silencieux, alors que le voyant au-dessus des portes de la salle d'opération était passé du rouge au vert.

Le neurochirurgien abaissa son masque, ses gants en latex déjà à la poubelle. Rien ne transparaissait sur son visage. Comme si ce qu'il venait de réaliser n'était pas plus important que de réfléchir au repas du soir.

— Les membres de la famille ? requit-il.

— O-Oui, approchai-je immédiatement.

Tim se leva à son tour.

— Ses fils, précisai-je sous le regard las du professionnel.

Il se désintéressa d'Isaac qui, de toute manière, resta en retrait.

— L'opération c'est bien passée. Il s'est évanoui à cause du début d'hémorragie qui comprimait sa boite crânienne. Par chance, il a été pris en charge rapidement et n'aura donc, sans doute, pas de séquelles handicapantes.

— Quand pourrons-nous le voir ?

Une infirmière poussa les portes du bloc opératoire et le neurochirurgien lui laissa la tâche de nous expliquer plus en détail les procédures et autres banalités. Car ce n'était que ça pour lui : une opération de plus, presque de routine. Rien de bien alarmant ou en dehors de sa zone de confort. Ce n'était qu'un crâne à ouvrir, à désengorger, puis à refermer. Ni plus ni moins. Le nom, le prénom, la vie du patient, en dehors des informations médicales importantes, tout ça n'était que de la paperasse. Alors la famille, l'inquiétude, l'univers qui pouvait s'écrouler sur ces gens, ces inconnus, même pas des patients, des visages flous dont sa mémoire effacera le souvenir au premier détour d'un couloir, ce n'était rien. Rien pour sa petite vie de neurochirurgien. Lui avait fait sa part du marché. Tout s'arrêtait là.

L'infirmière ne répondit pas plus à nos questions. Elle nous dirigea vers un autre service, affirmant que dans l'immédiat, monsieur Sullivan allait être transféré en salle de réveil et sous surveillance au cas où des complications postopératoires surviendraient. Des complications... Mon père venait de faire un AVC hémorragique. Qui sait dans quel état il se réveillerait ?

— Lee. Tient.

Je sursautai au contact froid des doigts d'Isaac. À moins que ce ne soit ma peau qui soit gelée. Je baissai les yeux sur le gobelet qu'il me tendait, l'odeur du café venant titiller mes narines. J'acceptai la boisson, non sans grimacer au goût.

— Beurk...

— Il n'y a que ça, désolé.

— Pourquoi es-tu là ?

Acerbe. Dédaigneux. Suprême. Tout ce que je détestais chez mon frère. Isaac ne prit pas la mouche. Son calme légendaire fit son œuvre. Tim était presque tout aussi patient. Coincé dans son costume trois pièces, ses cheveux noirs gominés vers l'arrière, le regard acéré, Timothy Sullivan était le portrait craché de notre père. Dire qu'Isaac et lui s'entendaient bien plus jeunes. Difficile de croire qu'un jour, ces deux là courraient main dans la main dans le jardin, des bottes en caoutchouc aux pieds, à faire les quatre cent coups. Aujourd'hui, c'est à peine s'ils pouvaient respirer le même air sans se sauter à la gorge.

Nos Amours aux Parfums de GlaceWhere stories live. Discover now