Chapitre 16 - Partie 2

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Je secouai la tête et revins au présent sans comprendre ce qui venait de m'arriver. Je respirai mieux lorsque les pieds d'Isaac entrèrent dans mon champ de vision, mes oreilles sifflant à m'en rendre sourd. Je m'obligeai à desserrer les doigts de l'échelle, greffés à celle-ci tant j'avais eu peur. Malgré la frayeur, Isaac replaça l'échelle un peu plus loin pour continuer. Ce n'était pas prudent. Il y avait bien assez de pommes pour ses parents. Mais non, encore un dernier seau disait-il.

Il monta encore plus haut et cette fois-ci, je glapis quand l'échelle glissa contre une branche trop fragile. Le bruit sec des branches qui cédèrent sous le métal m'assourdit. La flopée de feuilles tombant, leur bruissement irritant et le choc des pommes qui tombèrent me hantèrent. Ça ne dura que quelques secondes. Ou peut-être des heures. Assez pour me couper la respiration, me noyer, mourir étouffé.

L'échelle grinça en une plainte sonore. Sa chute, aussi longue que brève, prit fin en rencontrant une branche plus solide, plus fiable. Ma rédemption. Je me rappelai de comment respirer lorsque la voix d'Isaac me sortit des tréfonds de mes affres. Ma bouée de sauvetage, mon radeau de survie, ma bouffée d'oxygène.

— Ça va en bas ?

— O-Oui... Mais s'il te plait, redescend.

Je n'osai pas regarder vers le haut. Les barreaux creux résonnèrent à chacun de ses pas. Il me tendit son seau. J'avais envie de l'envoyer valser. Sa vie ne coûtait pas quelques pommes. Je le pris tout de même et ne fus rassurer que lorsque je pus le toucher.

— Tu es sûr que ça va ? insista-t-il en repliant l'échelle.

— J'ai froid, c'est tout.

Froid de toi. S'il te plait Isaac réchauffe moi. Serre moi si fort contre toi que personne ne pourra dire où je commence et où tu termines.

Mes pensées restèrent sans réponse. Parce qu'Isaac n'était pas médium. Il ne lisait pas dans ma tête. Ou alors, il le cachait très bien.

Chargés de nos seaux, nous retournâmes au chalet. Dans le sous-sol, nous triâmes les pommes, les répartîmes dans des caisses, au sec, de façon à ce qu'elles ne pourrissent pas. Ça nous pris un temps que je ne remarquai pas. Dans le silence de cette cave où il faisait froid, j'eus l'impression que la voix de Béatrice était un rayon de soleil. Ou peut-être était-ce le repas qui nous attendait.

Je divaguai tout le reste de la journée, à ruminer mes pensées en faisant semblant que tout allait bien. Joël nous assaillit de questions, abreuvant la conversation comme il nourrirait un feu pour ne pas qu'il s'essouffle. Il ressortit même un vieil album photos. Béatrice s'agaça de la poussière remuée sans pour autant exiger de ranger ces vieux souvenirs. Beaucoup des photos dataient du primaire. Je sortis en partie de mon brouillard pour me rappeler des bons moments passer dans leur ancienne maison. Joël s'amusa à nous raconter tout un tas d'anecdotes selon les clichés. Il y avait bien sûr leur rencontre avec Béatrice, leur mariage, la naissance de leur fils, des photos de vacances, son entrée à l'école, et puis, un peu de moi. Joël s'arrêta sur une photo où je pleurais à n'en plus pouvoir, un énorme bandage sur la tête, sous le pommier que j'escaladai souvent pour retrouver Isaac.

Encore une histoire de pommier.

— Oh je m'en souviens de celle-ci, commença Joël. C'est la fois où tu es tombé de l'arbre en voulait forcer la fenêtre d'Isaac.

Je ne m'en souvenais pas. Je n'étais pas seul sur cette photo. Il y avait Isaac, les yeux dans le vague, absent, et Tim. Je crois que c'est à partir de là qu'Isaac et lui avaient cessé de se parler. Je n'avais jamais compris pourquoi.

— Comment va Timothy, au fait ?

Je décrochai de la photo, comme s'il manquait une pièce, un morceau d'histoire à cette celle-ci. Comment étais-je tombé de l'arbre déjà ?

— Il va bien, je suppose. Il ne donne pas vraiment de nouvelles, même à ma mère.

— Ce n'est pas son fils, après tout.

La remarque de Béatrice jeta un froid dérangeant. Ce n'était que vérité crue, n'en plaise à quiconque. Je me dandinai sur ma chaise, Joël déjà en œuvre pour désamorcer la situation :

— Elle l'a élevé comme tel. Mais bon, son père n'est pas facile. Ce petit n'a pas eu le choix.

Moi non plus. Mon père, notre père, ne nous avait jamais laissé le choix. Isaac referma l'album photo et se leva.

— Je vais aller chercher du bois avant que la tempête n'arrive.

Je le suivis, enfilant à la hâte des chaussures pour sortir. Dehors, le calme régnait. Après tout, la tempête était prévue en Caroline du Nord que pour demain soir. L'accalmie nous couvait pour quelques heures encore.

Nous fîmes le tour du chalet, l'abri à bois de l'autre côté. La pente, glissante, manqua de me mettre à terre plus d'une fois. Isaac ne m'attendit pas. Il prit une cagette et commença à la remplir de bois, coupé pour l'hiver. Je ne sus comment l'aider et restai là à triturer mes doigts.

— Tu as quelque chose à me dire ?

Sa voix me surpris. Elle ressemblait désagréablement à celle de sa mère : distance et intransigeante.

— Ne me laisse pas dormir seul.

Plus qu'une demande, c'était une supplique. Un cri de désespoir étouffé par des mots timides. De fragiles paroles où se trouvait piégé mes larmes, mes peurs, mes démons. Une partition cachée audible seulement par lui. S'il voulait bien l'écouter.

Un instant, l'espoir qu'elle me le ramène brilla. Puis, tout s'effondra.

— J'ai été patient, jusque là. Patient et compréhensif. Sauf que je ne suis pas à ta disposition quand ça t'arrange.

Il se releva, sa cagette pleine, et me dépassa.

— Ma porte ne te sera jamais fermée, Lee. Mais ne me considère pas comme acquis. Un jour, je pourrais partir, même si je t'aime à la folie.

Un grand froid m'envahit, glaçant mes veines à en arrêter mon cœur. Devais-je définitivement choisir ? N'y avait-il donc aucune solution possible ? Aucun compromis qui ne nous meurtrisse à ce point ? Nos cœurs amoureux ne cesseraient-ils donc pas de se rater ? Dans ce roncier aux épines acérées, n'arriverions-nous pas à en sortir, même écorchés ? Ou étions-nous condamner à cette tempête qui nous rapprochait pour mieux nous éloigner ?

Nos Amours aux Parfums de GlaceWhere stories live. Discover now