Chapitre 6

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Je regardai l'heure sur mon portable pour la énième fois. Le trafic était fluide, le problème ne venait pas de là. Pourtant, je priai à chaque feu pour qu'il soit vert, que le bus ne s'arrête pas.

Encore deux arrêts. Deux arrêts et je continuerai à pied.

Je rageai lorsqu'un automobiliste coupa notre voie, obligeant le chauffeur à ralentir. Ma jambe tressauta. La dame assise à côté fronça les sourcils et je me forçai à arrêter. À la place, mon pouce trouva le chemin de ma bouche. Mes dents maltraitèrent mon ongle. Le bus s'arrêta à son arrêt. Des personnes descendirent quand d'autres montèrent. Lentement. Trop lentement. Je relâchai l'air piégé dans mes poumons au redémarrage du véhicule. Encore un arrêt. Juste un.

Le temps ne se suspendit pas. Les secondes défilaient à une vitesse folle, les minutes, encore plus. Dès que je regardai mon portable, l'heure n'était plus la même. Cruelle vérité qui me revenait en pleine face. Une angoisse que j'entretenais sans être capable d'y faire quoi que ce soit.

Je passai une main dans mes cheveux, grattai ma nuque. Mon genou se remit à bouger et j'ignorai la dame qui râla.

Un feu rouge.

Bordel, j'étais maudit ! Ou punis d'avoir un peu trop tardé chez moi. Pas que j'avais oublié. Non... Ou peut-être que si. C'était son message qui m'avait rappelé notre rendez-vous. De quoi me faire tomber de mon sofa pour sauter dans la cabine de douche et foutre le bordel dans mon armoire.

Le feu passa au vert. Je tapai du pied, m'attirai une remarque à peine camouflé.

Puis, mon arrêt.

Je déboulai du bus et courus. Je ne pouvais faire que ça : courir. Non pas pour rattraper le temps perdu – c'était impossible –, mais pour réduire la casse. Bien sûr, je ne trouvai pas l'adresse indiqué. Je dus faire deux fois le tour de la rue pour trouver l'enseigne.

Devant, on m'attendait. Je m'arrêtai, essoufflé et surtout transpirant. Super ! La douche n'avait servi à rien. Brillant, comme toujours Leeroy.

— Désolé, j'suis en retard.

— J'ai vu.

— Isaac...

— Allons-y, ne perdons pas plus de temps.

Il m'invita à entrer, une main dans mon dos. Le restaurant en question était bien plus chic que je ne le pensais. La réceptionniste nous accueillit aimablement et une fois le nom et prénom d'Isaac récupéré, nous confia à une serveuse qui nous guida jusqu'à notre table.

À vingt-et-une heure passée, la salle était pleine. Et malgré ce monde, il régnait un calme intimidant. Les clients étaient tous très bien habillés – comme Isaac d'ailleurs –, discutaient à voix basse, un verre de vin servit ou des fruits de mer au centre de la table. Les serveurs circulaient discrètement, offrant un service sans faute à leurs clients. Les nappes blanches, la vaisselle en porcelaine et les luminaires élégants rendaient l'endroit guindé.

La serveuse nous amena jusqu'à un recoin de la salle, où peu de personnes pouvaient nous voir. Nous la remerciâmes et nous installâmes sans un mot. J'observai tout autour de nous, les mains entre mes jambes, le dos froid maintenant que je me posai.

— Je ne savais pas que c'était ce genre de restaurant. Tu aurais dû me le dire, je me serais mieux habillé.

— C'est pour ça que j'ai demandé une table isolée.

Les quelques tableaux accrochés aux murs semblaient dater du siècle dernier, ou encore avant. L'argenterie des tables, l'allure des serveurs, le plafond haut et ses moulures, tout criait l'aisance, la raffinerie et la distinction. La carte nous fut apportée et rien n'arrangea mon sentiment de ne pas être à ma place. Je ne comprenais rien au menu et aucun prix n'était affiché. Isaac demanda une bouteille de rosée alors même qu'il n'était pas amateur de vin. Je jetai un coup d'œil par-dessus ma carte. Isaac était concentré sur la sienne. Ses cheveux, tirés en arrière, dégageaient son visage. Il portait un costume là où je m'étais contenté d'une chemise – trempée dans mon dos – et d'un jeans propre. Mes cheveux avaient séché pendant le trajet en bus et je ne voulais même pas savoir si je sentais la transpiration ou non. Sans Isaac, jamais on ne m'aurait laissé franchir le seuil de l'établissement.

Nos Amours aux Parfums de GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant