Les royaumes brisés

Chapitre 23 ☽ Selena et la pomme bleue

Ce palais était si grand qu'il fallut plusieurs jours à Selena pour s'y habituer. Elle passait la majorité de ses journées avec Amalia tandis que le reste du palais s'occupait du nouveau roi. Elle ne savait pas comment pouvait réagir Amalia devant Livio et craignait de voir la tristesse sur ses traits, alors elle essayait tant bien que mal de les laisser éloigner.

Pourtant, elle avait envie de rejoindre Livio et lui parler. Elle le cherchait souvent du regard quand elle passait devant les grandes fenêtres du palais, alors qu'il était dehors en train de contrôler les soldats. Elle espérait tous les soirs qu'il se présente à sa fenêtre, comme il le faisait quand elle habitait chez les Agave. Mais rien.

Alors au bout d'une petite semaine, elle avait fini par arrêter d'espérer. Elle passait ses journées avec Amalia dans la bibliothèque ou dans le second salon pour boire le thé. Il arrivait qu'elles rendent visite à des amis autour du palais. Mais la plupart du temps, elles ne faisaient que parler de leur vie.

Selena aimait cette simplicité. Elle aimait discuter et être utile pour quelqu'un. Après avoir passé une vie entière à se sentir utilisé et détesté à cause de son nom, de son sang, de son titre, elle aimait être enfin accepté pour ce qu'elle était vraiment.

Elle n'était pas une simple princesse, une Ipérion, elle voulait être davantage. Et aux côtés d'Amalia, elle se redécouvrait encore. D'autant plus depuis hier, parce qu'Amalia lui avait proposé de travailler sur ses pouvoirs.

Quelque chose de rassurant se dilatait dans la poitrine de Selena à chaque fois qu'elle se retrouvait avec Amalia. Quelque chose de familier, de chaud et de doux. Elle ressentait à chaque fois l'impression folle qu'elle était chez elle.

Elle essayait de faire taire cette sensation, mais elle n'y arrivait jamais. Amalia agissait comme une mère avec elle, et en sachant sa vie, Selena ne pouvait se permettre de lui faire ressentir à quel point ça lui manquait.

Après avoir perdu sa mère, elle n'avait plus jamais retrouvé une figure maternelle aussi forte et tendre qu'Amalia. Usoa avait toujours agi avec une certaine distance, sûrement d'usage entre une grande tante, ancienne reine et une jeune femme, future reine. Mais Amalia n'en avait que faire : elle agissait comme elle le ressentait.

Selena se demandait souvent, le soir quand elle était seule, si c'était une bonne chose. Amalia n'avait jamais eu d'enfant, elle était stérile, et il arrivait qu'elle craigne de devenir une faiblesse et un poids pour Amalia. Elle allait finir par devoir rentrer chez elle, à Ipérion. Elle le savait. Alors pouvait-elle malgré tout lui donner autant d'amour en sachant qu'elle finirait par lui retirer ?

Pouvait-elle agir comme si elle serait toujours là, au risque de le lui arracher au dernier moment ?

Alors, il lui arrivait de vouloir mettre une certaine distance entre elles. Mais plus les jours passaient, et moins elle y arrivait.

Amalia était une femme douce, tendre, chaleureuse et honnête. Il n'y avait rien de mauvais ou de terne en elle. Rien que de la lumière. Elle n'était pas non plus en quête d'amour après avoir perdu son mari, comme si Selena devait le remplacer. Bien au contraire, Amalia parlait de son époux avec de la tendresse et de l'émotion, mais aussi en contant à quel point elle était heureuse d'avoir vécu avec lui jusqu'à la fin. Elle ne cherchait pas à remplacer qui que ce soit, elle avait été heureuse et aujourd'hui, elle voulait continuer de l'être. Parce qu'elle lui avait promis sur son lit de mort.

Elle resterait cette lumière vive dans la noirceur, elle resterait la joie et le bonheur, elle resterait heureuse et chaleureuse. Comme elle l'avait promis à l'amour de sa vie.

Plus elle parlait avec Amalia, plus elle découvrait à quel point elle était juste. Selena n'arrivait donc pas à comprendre comment ce royaume avait pu être, ne serait-ce qu'un jour, haï durant le règne d'Amalia et Nacio.