Chapitre 26 : La dernière complainte de l'Académie

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Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, épisode 10, entre 05:20 et 08:40 (au début de l'effondrement d'Hargreeves Mansion).

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1er avril 2019, 19h33.

Je m'étonnerais toujours de la façon dont mon cerveau évacue vite l'anxiété. Il n'a fallu qu'une seule phrase de Cinq pour que je mette l'apocalypse derrière moi, pour que s'envole la chape de pierre qui pesait sur ma poitrine constamment depuis une semaine, pour que je me remette à faire des projets pour dans un jour, une semaine ou un mois. Je me sens stupide d'avoir cru que je pouvais être la cause de la fin du monde. Et je ne peux m'empêcher de me demander si - finalement - il a été à un seul moment certain qu'elle ait lieu.

J'ai été agréable avec Rodrigo, aujourd'hui, je n'ai pas rechigné à réapprovisionner le rayon du matériel de plomberie, et j'ai réussi à vendre dix flotteurs de chasse d'eau pour la rénovation d'un jardin d'enfants. Klaus n'a pas appelé. J'imagine qu'il a passé du temps à s'entraîner à matérialiser Ben, et cette seule pensée me donne envie de chantonner : cette fois ci gratuitement, sans aucun fantôme à chasser. J'espère sincèrement qu'ils y seront arrivés.

C'est avec le coeur particulièrement léger que je suis montée dans le bus du retour vers Hargreeves Mansion, ce soir, avec pour objectif de récupérer mes affaires et de rentrer chez moi pour de bon. Cette semaine m'aura probablement changée, peut-être en bien, d'ailleurs. J'en viendrais presque à remercier Reginald Hargreeves de s'être décidé à calancher.

A présent que le bus roule dans les avenues rectilignes de The City, je regarde les gens, en ce début de nuit. Ceux qui passent seuls vers leur destination, ceux qui se tiennent le bras, ceux qui trainent des enfants. On ne les regarde même pas, d'ordinaire, mais ces vies dépendent en réalité de toutes les autres, et des générations avant elles. Sans doute, ce monde n'est pas parfait, mais il existe dans un équilibre instable et beau, qui va pouvoir continuer.

Le bus tourne en direction du Nord, et la circulation se fait plus dense, comme bien souvent à cette heure. Les lumières rouges des feux arrières des voitures s'égrainent au travers des vitres, et le chauffeur s'exaspère de la conduite de certains. Pour une fois, je ne suis pressée par rien, je n'ai pas envie de pousser son moteur. Il m'est presque égal que ça commence à bouchonner. Je peux prendre mon temps, car il n'est plus compté.

Je sors mon Walkman, j'enclenche la piste là où je l'avais laissée. Le rythme hors-norme de Solsbury Hill remplit mes oreilles, semblant ne jamais vouloir s'arrêter. Des paroles inspirées, appelant à embrasser le changement. Je regarde un groupe de gens traverser un peu en hâte, juste devant le bus, et le conducteur continue de pester. La centrale des transports vient de lui envoyer par radio un ordre de déviation, et je fais taire un instant Peter Gabriel pour l'écouter énoncer quels arrêts ne seront pas desservis.

"Bibliothèque publique d'Argyle, Argyle Park, Rainshade Square et Septième avenue".

Je fronce les sourcils. Ces quatre arrêts sont ceux qui font littéralement le tour d'Hargreeves Mansion. D'un coup, j'éteins la bande, je fourre mes écouteurs dans ma poche et je me lève en direction du chauffeur, lui demandant l'autorisation de descendre, même s'il n'est pas à une desserte. Étant donné l'arrêt complet du trafic, il me laisse le faire, et je fais attention à ce qu'aucun scooter n'arrive en traître, le temps de rejoindre le trottoir humide. La nuit est opaque sous un ciel clair, mais il y a une drôle d'odeur, dans l'air. Quelque chose d'inhabituel. De la poussière, peut-être, du gaz. Autour de moi, les gens marchent massivement en sens inverse à présent.

*Crac !*
Je viens de gagner deux cents mètres, et je tourne au coin de l'annexe de la Banque Centrale, en pressant le pas. L'air vibre à mes oreilles d'une façon qui me fait plisser les yeux. Plus loin, une partie de l'éclairage urbain semble ne plus fonctionner. Ce n'est pas grave, la nuit est claire, et la Lune est pleine. Je m'en tape de toute façon de ne pas bien y voir : dans ce quartier, je pourrais maintenant me téléporter les yeux fermés.

Une courbure de l'espace-temps (Saison 1) - The Umbrella AcademyWhere stories live. Discover now