Brioche omelette

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Sur le chemin du retour, en taxi cette fois, je replonge dans mes pensées. Par où devrai-je commencer ? Tous ces trucs vont-ils marcher ? Et maman ? Comment lui dire ? je ne peux pas le lui cacher indéfiniment.

Pour certains ça peut paraitre impensable qu’une maman laisse ses enfants pour aller dans un nouveau ménage. Et pourtant c’est assez courant. Dans beaucoup de cas de remariage les enfants restent chez l’un des parents ou alternent.

Mes parents avaient divorcé plusieurs années avant le départ de papa.Maman a enduré beaucoup de souffrance de la part de sa belle-mère et de ses belles-sœurs qui ne l’appréciaient pas. ( très fréquent au Sénégal aussi raison pour laquelle les jeunes préfèrent vivre avec leur mari et leurs enfants seuls dans un appart ).

Après leur séparation, nous avons rejoint maman dans la maison familiale situé à la Centenaire.
Et dans ce qu’on appelle “ keur famille “ çe n’est pas toujours simple non plus. Nous occupions quelques pièces de la maison. Les autres membres de la famille étaient soit à l’étranger soit dans d’autres zones de Dakar, dans leurs propres maisons. Mais nous n’en avions pas encore les moyens.

Et selon maman nous devions faire de notre mieux pour avoir notre propre demeure. Ses parents à elles ne sont plus. Il ne nous restait plus que ma grand-mère paternelle qui n’en avait rien à faire de nous.

Tonton MaLamine est entré dans nos vies de manière hasardeuse et maman est parti vivre avec lui à Pikine. Malheureusement leur appartement ( que tonton MaLamine s’est procuré après avoir reçu sa part d’un héritage ) n’est pas très grand.

Mes badienes et mon oncle Ablaye (un cousin de mon père ont convaincu ma mère de nous laisser avec elles ( j’avais 16 ans à l’époque). Elle avait espoir qu’elles nous aimaient enfin. Que maintenant c’était différent.

C’est ainsi que nous sommes allés vivre à Diecko. Et depuis, c’est le calvaire.
Maman n’a eu vent que de détails mineurs. Tout lui dire reviendrait à la faire culpabiliser. Mais au fond je sens qu’elle se doute de quelque chose. Ses recommandations la trahissent. “ lo mougne mou diekh metina mais gorgolou lein” ( tout va s’arranger, patience et travaillez dur, redoublez d’efforts ). Elle sait.

Mariam et moi étions les premières debout et les dernières couchées. On enchaînait les tâches ménagères, les courses, tout. Pour étudier, on devait se cacher derrière le parc de “ Diallo Keurigne” ( le vendeur de charbon ). Une fois rentrées on recevait une gifle monumentale devant tous les autres adolescents et enfants qui riaient aux éclats certains étaient par contre gênés.
Les insultes fusaient de partout. C’était jamais trop humiliant.
Badiene Awa nous exposait là au milieu de la cour et nous chantait nos louanges. “ fille de traînée pourquoi nous fais-tu perdre de l’argent pour tes fameuses études “ ( comme si c’est elle qui payait ).
“ tu es bonne pour le trottoir” ( la prostitution ) “thiaga bi” (sale pute ). Elle s’acharnait sur moi. Et c’était tant mieux. Mariam subissait mais pas plus que moi. Sorcière Awa le faisait pour atteindre Mariam tellement on est proches.

On ne mangeait pas chez nous. Si jamais on s’installait autour du bol, dès la première cuillerée on nous demandait d’aller acheter des biscuits pour le dessert des plus petits ou de ranger la cuisine ou parfois même d’emmener le repas pour un oncle qui travaille comme tailleur à la Gueule-Tapée (à plusieurs centaines de mètres de la maison ).

Nous achetions notre propre nourriture avec l’argent que maman et tata Alima nous donnaient. Cette dame elle nous a toujours épaulé. Et nos voisins des anges gardiens, on passait souvent chez eux manger. Le soir ils nous appelaient pour nous régaler de bons “fatayas”, “nems” que mère Astou vendait devant chez elle.

Sinon c’était Brioche omelette au menu, la plupart du temps. ( J’en fais toujours des cauchemars.) Les seuls moments où nous mangions bien c’était au lycée pour moi et au collège pour Mariam.
J’engloutissais deux pains riches par jour sans problèmes. Ça en surprenait plus d’un. Mais c’était parce que je n’allais rien manger d’autre de consistant avant le lendemain.

Je devais laver la petite de badiene Awa après le pot (son indiscipline dépassait les frontières de l’imagination). Lui donner son bain. Cuisiner, balayer, nettoyer toute la maison.

Mariam dormait dans la chambre de grand-mère et moi dans le salon. Des fois j’allais au marché avec elle. Le seau de courses pesait une tonne ( à peu près) et me faisait parcourir tout le marché pour discuter avec ses vendeurs préférés. J’endurai en silence.  La moindre erreur se payait au prix fort. J’ai oublié la douleur des coups sur mon corps mais leurs mots résonnent toujours dans ma tête.

Mariam n’était pas en reste elle travaillait comme une bête. Je me devais de rester forte pour elle. Lorsqu’on s’affairait dans la cuisine je m’efforçait d’être drôle, de faire comme si tout ceci n’était pas grave. Mais elle n’est pas conne non plus. Elle se contentait de me dire “ on partira d’ici un jour et je te promets qu’avant de le faire je casserai des gueules et seulement après on pourra partir”. On rigolait sans savoir que c’était comme ça même que ça allait se passer.

Nous grandissions, nous les indésirables. Mariam passait moins de temps à la maison à cause des cours et moi j’étais carrément à l’autre bout du pays. Je m’inquiétais pour elle, mais elle a tellement grandi et s’est forgé un caractère de fer. Elle en a distribué des coups ce qui lui a valu d’être respectée.

Plusieurs mois après avoir obtenu ma licence, retour en enfer. Je me mets activement à la recherche d’un emploi ( Centre d’appel, de communication... ) n’importe où je pourrais aider à traduire en anglais mais rien. Quelques personnes me chargeaient de leur traduire des documents pour quelques billets. Pas grand chose.

Je travaille ou travaillais dans un salon de beauté dirigée par une patronne sans scrupule. Je tressais et maquillais des demoiselles d’honneur. J’étais parfois payée d’autres fois...

Mariam quant à elle vend des produits en ligne avec des amies. Elle se débrouille plutôt bien. Elle suit actuellement une formation en management à ENSUP grâce à une bourse.

Et depuis quelques jours ( 4 jours plus précisément ) eh bien nous sommes à la rue. Chassées de la demeure familiale par notre propre famille mais recueillies par notre famille de substitution celle de ma meilleure amie Amina.

Les raisons ? c’est dans le prochain chapitre.

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Fatima : La Femme Du BossWhere stories live. Discover now