"Stay, stay, stay"
Lexie
J'arrive à l'église pile au moment où la cérémonie commence. Il y a beaucoup de monde donc je décide de m'installer dans le fond pour ne pas passer devant tout le monde. Le trajet jusqu'à l'église fait probablement partie de mon top trois des choses les plus dures à faire. Je m'assieds, la boule au ventre, alors que le prêtre commence la cérémonie. Je n'écoute rien du discours qui se joue devant moi, trop préoccupée à me concentrer pour ne pas pleurer. Je sais que c'est con, je suis à un enterrement, tout le monde pleure, mais je ne me sens pas légitime. La culpabilité que je ressens me bouffe de l'intérieur. J'ai l'impression que je ne mérite pas de pleurer parce que je n'étais pas une bonne amie. Je n'ai jamais été là pour elle. En fait, je ne me rappelle pas l'avoir aidée une seule fois, pour quoi que ce soit. Ava est celle à plaindre aujourd'hui. Comment pourrais-je être triste alors qu'elle a perdu toute sa famille ? Je lève les yeux vers les trois cercueils côte à côte et croise la photo d'April posée devant le sien. Ça suffit à me faire craquer. L'idée qu'April soit là, dans ce cercueil me fait pleurer à flots. J'imagine son corps sans vie dans cette boite à quelques mètres de moi et ça me brise le cœur. Je jette un regard vers Ava qui se trouve au premier rang entourée de personne que je ne connais pas, probablement sa famille. Elle pleure à flots et je lutte pour ne pas me lever pour la rejoindre. J'essaye de retenir mes larmes le reste de la cérémonie. Parfois, je craque, parfois, je me reprends, parfois, j'ai envie de tuer le prêtre qui n'arrête pas de parler "d'April, notre bien-aimée" comme s'il la connaissait. Les discours des membres de sa famille me tuent littéralement, si bien que la femme à côté de moi me tend un paquet de mouchoirs que j'accepte. À la fin de la cérémonie, nous sommes invités à venir toucher une dernière fois les cercueils avant qu'ils ne partent. Je me lève donc et marche dans la file qui avance vers ces derniers. Lorsque je suis assez proche du cercueil, mon regard se fixe sur la photo d'April. J'ai mal à la gorge à force de retenir mes sanglots, mais je persiste. Mon tour venu, je m'arrête devant le cercueil, pose ma main dessus avant de m'abaisser.
- Je suis désolé, dis-je tout bas.
Je me redresse ensuite et reprends ma marche, attrapant les faireparts de décès. Lorsque je sors de l'église, je trouve tout de suite Ava. Je m'approche d'elle à grandes enjambées avant de m'écraser sur elle dans un câlin. Elle craque complètement dans mes bras ce qui me fait faire de même. Nous restons cinq bonnes minutes, enlacées, nous serrant du plus fort que l'on peut, comme si ce câlin pouvait extérioriser notre douleur. Dans un sens, ça fonctionne.
- Je n'ai rien compris à ce que le prêtre disait, me dit-elle finalement en défaisant notre étreinte.
- Moi non plus, dis-je dans un rire.
L'accent du prêtre était effectivement prononcé, ce qui rendait son discours parfois compliqué à comprendre.
- Comment tu vas ?, me demande-t-elle finalement.
- La question, c'est comment toi, tu vas ?
- Je t'ai posé la question la première.
- Ça va, dis-je sans conviction. Mais c'est à toi qu'il faut poser la question. Je suis loin d'être à ton niveau.
- Lexie, dit-elle en posant sa main sur mon épaule, April était ta meilleure amie. Tu l'as perdue aussi.
- Ce n'est pas comparable.
- Tu sais que tu as le droit d'avoir mal ?
Je la toise en silence alors qu'un nouveau flot de larmes menace de couler. Même si je n'arrive pas à la croire, ses mots me soulagent. La personne qui est le plus touchée par cette perte m'autorise à avoir mal. C'est con, mais ça me fait vraiment du bien. Je culpabilisais d'être triste alors qu'Ava devait être dévastée, mais elle me donne son autorisation. Je n'attends pas une seconde de plus avant de la prendre dans mes bras.
