Les Surnaturels

Vingt-deux

Je me décale d'un coup de hanche de l'autre côté du banc et me ratatine sur moi-même, les joues embrasées. Je jette un coup d'œil à Timothée. Il a l'air très serein.
- Coucou Andrea, dit-il, un grand sourire aux lèvres.
Celle-ci, furieuse, me montre du doigt.
- Je pars cinq minutes, et je te retrouve en train de flirter avec elle ?
Je proteste:
- On était pas en train de-
- On est amis, me coupe Timothée. Et elle a un nom. En plus, je croyais que tu étais en mission avec Allie.
- Tu profites que je sois pas là pour me tromper, c'est ça?!, crie sa petite amie.
- Andrea, calme toi.
Il se lève et l'enlace.
- Allez, s'il te plaît.
- Non!, s'énerve-t-elle, pas question!
Elle se tortille dans tous les sens pour échapper à son étreinte et lance:
- Lâche-moi, j'te dis! Tu me trompes avec une folle aux cheveux bleus!
La colère me monte au nez.
- Je ne suis pas fo-
- Rhhaaa, laisse-moi Timothéee! T'es complètement cinglée, oui! Voleuse de petit ami!
Timothée se raidit et gronde:
- Andrea... Je t'ai dit de te calmer.
Sa voix a perdu toute sa douceur. Une veine a gonflé dans son cou.
- Allez.
Mais Andrea continue de se débattre et de hurler. Les joues rouges, je me lève et m'approche d'elle, mais elle me repousse. Je menace de glisser sur le tapis de feuilles humides.
Soudain, le visage de Timothée vire au rouge et il lâche Andrea, comme si elle lui brûlait les mains. Celle-ci, emportée dans son élan, glisse sur les feuilles mortes et tombe à genoux. Je me penche pour l'aider à se relever, mais elle refuse de prendre ma main. Elle époussette son jean, tout en criant:
- Imbécile! Tu m'as fait tomber!
Elle se retourne vers lui, furieuse. Il est à présent plié en deux, les poings serrés, comme s'il luttait contre quelque chose d'intérieur. Son visage est brillant de sueur.
Andrea s'arrête aussitôt de hurler et blêmit. Elle recule, comme si elle avait brusquement peur de son petit ami. Mais elle inspire profondément et se reprend.
Son front se plisse sous l'effet de la concentration et ses lèvres bougent lentement sans qu'aucune parole n'en sorte.
Au bout de ce qui me paraît une éternité, Timothée se calme.
Il se redresse, desserre les poings, arrête de gronder et de gémir.
Il a l'air surpris de se trouver là et ne paraît pas savoir comment il s'est retrouvé là.
- Andrea, que se passe-t-il? Oh, Anna! Ça va?
Je recule. Je ne m'étais pas rendue compte que mes yeux s'étaient remplis de larmes et je fais tout pour les ravaler.
- Anna, répète-t-il.
- Elle n'en vaut pas la peine, Tim, chuchote sa petite amie d'une voix doucereuse.
J'ai l'impression que ma tête va exploser. Je recule en trébuchant sur une racine. Je vois flou, tout se brouille autour de moi. Je ne sais pas si ce sont les larmes ou la puissance du pouvoir d'Andrea. Peut-être les deux.
Je me mets à courir, en ignorant les "Anna! Reviens!" de Timothée. Le cœur battant, je m'éloigne du couple le plus possible. J'ai l'impression que ma conduite est dictée par Andrea, qui me tord le cerveau dans tous les sens. Je n'arrive guère à me concentrer, mais parviens tout de même à monter les escaliers quatre à quatre, me ruer dans ma chambre et me précipiter dans mon lit.

Lorsque je me réveille, je découvre Allie assise sur son lit en train d'éplucher un magazine de mode.
- Ah, enfin réveillée, dit-elle sans lever les yeux de sa revue.
- J'ai dormi combien de temps?
- Assez de temps pour louper le dîner. Tu devais être crevée après ta nuit blanche hier.
Je hoche la tête.
Allie me désigne mon bureau.
- Barbot t'a apporté ton plateau.
Je l'attrape d'une main et m'assoit confortablement, avant d'entamer mon repas.
Allie abandonne ses photos de mannequin et se tourne vers moi:
- Alors? Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Andrea?
Je sens que je peux me confier à elle. Je lui raconte tout; en omettant le passage où Timothée a fait battre mon cœur un peu vite. Je ne comprends toujours pas pourquoi, mais je préfère passer ce moment sous silence.
- Si je comprends bien, résume Allie, vous étiez en train de bavarder gentiment quand Andrea a débarqué en pensant que vous flirtiez c'est ça? Alors Tim s'est énervé et il a fait une crise de colère en essayant de maîtriser sa force surhumaine. Andrea l'a calmé en l'hypnotisant et t'a manipulé le cerveau... Je vois. Tu ne vas pas être copine de sitôt avec elle... Quant à Tim...
Quoi Tim?
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
- Tim, reprend mon amie, il a enchaîné les conquêtes alors... fais gaffe.
- Mais, je te dis qu'on discutait !
- Je te crois.
J'ai encore une question à lui poser:
- Je pensais que vous étiez en mission. Comment ça se fait qu'Andrea est arrivée à ce moment-là?
Allie sourit et glousse:
- La mission a été annulée, patate! Sinon je serais pas là!
Je hoche la tête et m'efforce de sourire.
- Ne t'inquiète pas pour Andrea. Ça va lui passer. Elle a toujours été... possessive.
Allie enfouit son menton entre ses genoux et enlace ses mollets.
- Et puis, Tim a fait pas mal de bêtises dans son dos.
Je n'ai plus envie d'entendre parler d'eux. J'essaye de détourner la conversation:
- Je crois que Marie-Lou a pas très bien pris le fait que j'aille dormir avec toi.
- Non, c'est vrai?!, blague Allie en roulant des yeux.
- Sérieusement, elle a dit que vous étiez dangereux.
Je guette une réaction de la part de mon amie. Son visage s'est fermé, ses yeux ne brillent plus de malice et elle fixe d'un regard éteint un point dans le vague.
Au bout de longues minutes pendant lesquelles je fais semblant de m'intéresser à mes petits pois dans mon assiette, elle se remet à parler.
- Disons que quand tes pouvoirs sont incontrôlables, c'est dur de ne pas faire de bêtises.
Elle fixe son magazine sur le lit qui, bientôt, s'élève dans les airs. Les pages tournoient sur elles-mêmes, et me font penser à des ailes. Je n'ose pas troubler la concentration d'Allie, mais je pose quand même la question qui me brûle les lèvres:
- Qu'est-ce que tu veux dire par bêtises?
Allie ne répond pas. Je m'en veux d' insister mais je ne peux pas m'en empêcher:
- Allie? A quoi tu penses?
- À Ambre.
Je sursaute et me retrouve nez à nez avec Baltazar.