- Pas grand-chose je le crains.
Judith ôta la cigarette de ses lèvres pour souffler la fumée. Le tabac avait sur elle un pouvoir apaisant incroyable. Elle soupira. Il y avait fort peu de chances pour que ce soit de la vie de la victime qu'elle et Yuliya tirent quelque chose de constructif.
- Erik Dampierre, 47 ans, agent de la CIA sur le déclin muté à Fort Meade il y a peu. Énonça-t-elle à l'intention de Yuliya. Divorcé, avec quatre enfants dont il n'a pas la garde. Tout ce qu'il a de remarquable, c'est une tripotée de galons et de décorations militaires qui attestent le fait que c'était un excellent élément.
Judith songea que finalement, on pouvait être un véritable crack et une enflure de première, et ce de façon simultanée. Flegmatique, elle constata :
- Enfin, maintenant, laisse-moi te dire que les médailles lui font une bien belle jambe.
Jiji avait cette faculté incroyable, toujours saisissante, de prononcer des choses terribles avec un détachement horrifiant et sur un ton parfaitement égal - ça jurait tellement avec son visage d'ange que ça en devenait presque angoissant.
- D'après Amanda, la secrétaire qui a assisté à la scène, il est mort étouffé par quelqu'un d'invisible. C'est fascinant mais ça ne nous avance pas des masses. On verra ce qu'en dit l'autopsie.
L'agent Jennings plissa son petit nez. Yuliya allait lui offrir un point de vue extérieur bienvenu. Judith avait du mal à prendre du recul par rapport aux événements. Même si cela passait totalement inaperçu, et qu'on aurait juré qu'elle avait la situation bien en mains, elle ne pouvait de débarrasser d'une sensation d'irréel, d'incrédulité : de toute évidence, Judith ne pouvait rester de marbre face à l'attentat - car ce n'était ni plus ni moins que cela - qui venait de frapper Fort Meade en son sein. D'aucuns auraient dit qu'elle avait été chamboulée mais que l'adrénaline la poussait à se maintenir opérationnelle. La jeune femme resta pensive un instant, avant de poursuivre :
- Reste à savoir pour quel motif il a été assassiné, et surtout par qui. Avons-nous une taupe dans le bâtiment ? Y-a-t-il un agent dormant du KGB terré à Fort Meade, qui s'est réveillé pour tuer Dampierre ? Est-ce un stupide crime passionnel pas du tout surnaturel ? L'oeuvre d'un médium du KGB ?
Tout en parlant, Judith désignait des documents sur le tableau en liège, et suivait du bout du doigts les fils rouges qu'elle avait punaisés pour représenter les connexions entre les différents lieux, suspects, motivations potentielles...
- Après tout, la voyante russe - comment déjà ? Nina Machin ? Eh bien, cette fille a arrêté le cœur d'une grenouille à distance. Qui nous dit qu'elle n'a pas réitéré l'expérience avec Dampierre ?
Mais alors qu'elle formulait des hypothèses en vrac, dans le seul but de vider son cerveau pour donner de la place aux nouvelles idées qui fusaient, Jérémiah fit irruption dans la pièce. Jiji se coupa net dans son élan pour s'écrier :
- Bon sang Levy qu'est-ce que tu foutais ? T'étais où ? Tu t'es cru chez mémé ?
La voix goguenarde de Cal s'éleva dans son dos et Judith leva les yeux au ciel. Évidemment, quand il s'agissait d'ennuis, le jeune homme n'était jamais vraiment très loin.
- Putain Cal tu peux pas nous lâcher trois minutes ? S'exclama-t-elle, agacée.T'as pas l'impression que c'est pas le moment là ? Tu commences à sérieusement me gonfl...
Mais la blondinette s'interrompit brusquement. Elle fronça les sourcils. Clairement, elle ne pouvait nier ressentir dans l'aura de Jérémiah une angoisse étrange et un empressement tout aussi perturbant. Pour une fois que Cal ne formulait pas que des âneries plus grosses que lui...
- Tout va bien Levy ? On dirait que tu viens de croiser un fantôme...
