Silence 1

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-Va, petite. Et sois prudente.

Alice remercia la vieille goule d'un hochement de tête et la serra dans ses bras avant de s'éclipser. La jeune fille se mit à courir, aussi vive que le vent, ses pieds nus ne laissant aucune trace sur les pavés sales. Un petit paquet contre sa poitrine, elle espérait rentrer saine et sauve dans son abri.

Malheureusement, les goules étaient agitées ce soir-là. Pas de chance pour elle. Il lui faudrait faire un détour. Elle modifia son trajet, comme bien souvent, et traversa plusieurs ruelles sombres, miteuses, désertes. Plus loin derrière, les grognements et hurlements résonnaient sinistrement dans l'air. Du sang frais allait teindre le sol encore rougi par les dernières attaques.

Alice s'immobilisa soudainement et arrêta de respirer, ses yeux clairs grands ouverts. Elle se plaqua contre un mur et se fondit dans l'obscurité, telle une ombre sur un mur noir. Non loin de là, deux goules en dévoraient une troisième. Les cris de la victime allaient résonner éternellement dans la tête de la jeune femme, tout comme les bruits de succions et de déglutition. La créature ne se tut que lorsque ses agresseurs se chargèrent de lui arracher la gorge et la peau du visage.

Le cœur battant à tout rompre, Alice glissa sur le côté pour revenir sur ses pas. La jeune fille ne craignait pas d'être vue ou entendue –elle était devenue maîtresse en matière de discrétion. Non, ce qu'elle redoutait, c'était que les deux cannibales sentent son odeur. Son parfum avait la fâcheuse particularité d'être divinement alléchant pour les goules, ce qui lui avait attiré pas mal d'ennuis de part le passé. Elle avait depuis trouvé un moyen de contourner le problème, mais dans cet endroit, aucune solution n'était définitive.

Cependant, Alice parvint à s'échapper. Et elle continua à courir, ralentir, faire demi-tour jusqu'à arriver à destination. Enfin.

L'abri était plus que modeste : un tas de couvertures servait de lit, une bassine recueillait l'eau de pluie et permettait de se laver, et un petit cercle de pierres entourait un tas de cendres, refroidies depuis bien longtemps. Alice s'installa dans le tas de couvertures, s'enveloppa dedans avec délice et déballa enfin le paquet que lui avait donné la vieille goule quelques heures plus tôt. La jeune fille saliva en voyant une pomme bien mûre, et quelques gâteaux secs, ainsi qu'un peu d'eau potable.

Le repas était frugal, mais Alice se contentait de peu de chose. D'ailleurs, elle n'avait pas le choix. Le luxe n'existait pas ici, sauf pour les plus puissants. Quand elle eut terminé de manger, elle regarda attentivement l'épais papier kraft qui avait servi à envelopper son dîner.

Un nouvel ordre de mission.

Elle les recevait toujours de la même manière : la vieille goule enveloppait les provisions dans le papier sur lequel étaient marquées les instructions et les transmettaient ensuite à Alice, qui n'avait plus qu'à déguster son repas tout en prenant connaissance de ses objectifs. La jeune fille ignorait pour qui elle travaillait. Sa seule certitude était que les informations récoltées servaient aux humains à l'extérieur du mur.

Alice parcourut le papier des yeux et, une fois qu'elle fut certaine d'avoir tout mémorisé, elle le brûla. Elle se roula ensuite dans ses couvertures pour garder un maximum de chaleur. La tête posée sur son bras, la jeune fille ferma les yeux et s'autorisa quelques heures de sommeil.

*****

Postée en haut d'un immeuble en ruines, Alice souffla sur ses doigts gelés. Le peu de repos qu'elle avait pris n'était pas suffisant pour son corps, qui réclamait encore la chaleur et l'insouciance d'un sommeil sans rêves. Chose que sa maîtresse lui refusa. Elle n'avait que trois jours pour accomplir sa mission.

White SilenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant