La légende des deux royaumes [TERMINÉ]

Chapitre 5 - Partie 2

Gabriel et Erid se trouvaient dans les appartements du plus jeune des deux frères qui avait écouté le récit de son aîné. Ce dernier avait le visage marqué qui commençait à violacer. Nul doute que d'ici peu, il gonflerait. Mais plus encore que ses meurtrissures physiques, Erid observait l'anéantissement des convictions de son frère. Tout son monde s'écroulait, s'effondrait et il devait tenir debout. Son âme était bien plus blessée que son corps, malgré sa lèvre inférieure fendue qui laissait s'échapper un mince filet de sang. Erid savait qu'il avait frappé fort, dans le but de faire mal.

Gabriel finissait son récit : comme il l'avait dit quelques jours plus tôt à Inwë, il n'avait trouvé aucun survivant et était parti trouvant Finwë qui lui avait promis de se venger.

— Et tu ne t'es jamais posé la question de savoir s'il disait la vérité ?

Erid se trouvait assis dans un fauteuil de ses appartements et ne doutait pas un seul instant de sa sincérité. Pas en le voyant dans cet état.

— J'étais détruit, je venais de tout perdre, expliqua Gabriel, debout et face à lui, la voix brisée. Quelques jours plus tard, nous avons même chassé un groupe de ces hommes. Comment aurais-je pu me douter de quoique ce soit ? Maintenant, je me dis que ces bandits ont dû se montrer trop gourmands, comme c'est également arrivé par la suite. Finwë les a exécutés en guise de représailles pour tous les autres. Il y avait des hommes peu fréquentables avec nous au début. Mais j'étais tellement anéanti que je m'en moquais et il les a fait éliminer par la suite. J'en ai même exécuté un bon nombre de mes propres mains. Ces ordures le méritaient, je ne le regrette pas, continua-t-il d'une voix sourde et lointaine. J'ignore pourquoi il m'a épargné. Peut-être qu'il m'a jugé utile pour ce qu'il avait à accomplir ? Ou alors, il l'a fait pour s'amuser, se venger de père.

En entrant dans la pièce quelques instants plus tôt, c'était finalement Erid qui avait pris la parole, racontant ce qu'il avait vécu deux décennies auparavant. Le village avait été attaqué par des pillards et il avait voulu défendre sa famille en se battant. Après tout, son frère aîné lui avait appris à se servir d'une lame et son père forgeait les meilleures. Il était entré dans la forge familiale alors qu'elle était déjà en proie aux flammes et, finalement, la charpente s'était effondrée sur lui avant qu'il ne puisse sortir. Il avait été assommé, mais miraculeusement épargné. Les blessures avaient été principalement superficielles. Seule sa jambe droite, et plus particulièrement son genou, gardait des séquelles.

Quand il avait repris connaissance, un peu plus tard, aucun hurlement n'était sorti de sa gorge trop asséchée par l'incendie. A travers la fumée noire qui s'échappait décombres calcinés, il avait reconnu cet homme, le même qui était venu réclamer quelque chose à son père et s'était fait congédier. Finwë était revenu se venger.

Erid s'était cru orphelin et ce ne fut que bien plus tard qu'il apprit les exploits que Finwë avait accompli en compagnie de Gabriel. A partir de ce moment-là, il s'était replié au cœur de Somgysaï pour ne plus en sortir.

— Je me souviens de tout, reprit Gabriel. Chaque moment de cette journée est gravé dans ma mémoire. Je revois la fumée, j'entends encore les cris. L'odeur de chair calcinée me hante encore. Le corps de Cendhra entre mes bras. Seules quelques-unes de ses mèches rousses avaient été épargnées. J'étais anéanti.

Il releva la tête et chercha le regard de son frère, complètement brisé. Erid s'approcha et lui tendit un bras hésitant, ne sachant pas trop comment réagir. Gabriel n'était plus le frère qu'il avait connu, pourtant, il ne pouvait rester impassible face à sa détresse qui le bouleversait. Finalement, il posa sa main sur son épaule, geste intime. Fraternel. Puis le regard de l'aîné se durcit et devint froid et déterminé.