Sassenach, Sasannach

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Pendant le déjeuner, je découvre le père de famille, Murray, un grand brun barbu au caractère bien trempé qui semble tout droit sorti d'un documentaire sur les Highlands. Sa forte personnalité tranche avec celle,  posée, de Cécile. On se demande comment ces deux-là se sont trouvés. Et pourtant ils vont très bien ensemble, c'est une harmonie difficile à saisir mais qui n'est pas si incohérente que cela.

Comme mes parents, ils semblent totalement opposés et pourtant vibrant à l'unisson. Cécile a pour son excentrique mari des attentions touchantes et quand il s'adresse à elle, on sent le profond amour qui les lie.

— Alors ma fille va épouser un foutu gallois, mon fils cadet me ramène une anglaise coincée. Keith, mon fils, tu as intérêt à me trouver une gentille petite écossaise.

Il y a un silence gêné qui plane et je ne sais pas trop ce qui me prend, je lui rétorque.

— J'ai cru comprendre que justement il valait mieux qu'il évite... Visiblement les écossaises ne sont pas si gentilles.

Cal s'est fait un plaisir de me raconter comment Keith s'était fait plaqué par sa fiancée quelques temps avant le mariage, et cela semblait pourtant être une fille du coin. Je n'apprécie guère qu'il me traite d'anglaise coincée, c'est vrai, après tout, je ne suis même pas anglaise !

Murray en reste sans voix. Tout le monde me regarde se demandant ce qui m'a pris. Un coup d'œil rapide vers Keith et je remarque que la colère a quitté son visage un instant car il sourit de toutes ses dents de me voir reprendre son père. Je lis sur ses lèvres : bon courage. Ça doit vouloir dire que je vais en avoir grandement besoin pour affronter Murray Alister. Mais ce que Keith ne sait pas c'est que je n'en ai pas besoin. Calum lui sait ! Et à voir son regard, il craint plus pour son père que pour moi.

Soudain, brisant le silence, Murray se met à rire et penche la tête sur le côté.

— Je retire ce que j'ai dit petite, tu n'as pas l'air si coincée que ça. On pourra peut-être même tirer quelque chose de toi Sasannach.

Un ange passe, je me suis cru un instant dans outlander, Keith se met à rire en face de moi. Cal aussi, les deux frères savent exactement à quoi je pense.

L'après-midi, nous allons visiter - ou plutôt, me faire visiter - le château d'Eilean Donan. Ils le connaissent tous par cœur mais le font pour moi et ça me touche. C'est Murray qui nous commente le trajet.

— Petite, si tu reviens plus longtemps nous te ferons découvrir l'île de Skye.

Il est passionnant quand il parle, j'ai beau avoir sur moi mon guide et l'avoir dévoré, j'apprends avec lui les petites anecdotes croustillantes sur le tournage des films qui ont eu lieu dans le château, c'est une vrai pipelette. Je n'en ai vu qu'un seul à mon grand désarroi : "Le témoin amoureux" Car Charles voue une admiration sans borne à la serie "Grey's anatomy" et que deux des acteurs jouent dedans.

Soudain le château se détache dans le ciel ombrageux.  Il est splendide. Mon guide me dit que c'est l'un des châteaux les plus visités d'Ecosse et je comprends aisément pourquoi.

—T'as de la chance, ce n'est pas la période touristique et les MacRae avaient accepté un tournage mais ce dernier a été reporté.

— Comment savez-vous tout ça ?

Murray me fait un clin d'œil dans le rétroviseur.

— Ici rien n'est secret, tout se sait. Surtout quand tu possèdes plusieurs pubs ! D'ailleurs un soir, je t'emmènerai au pub, on verra ce que tu as dans le ventre.

Il met la musique à fond et ils se mettent tous à entonner une chanson traditionnelle écossaise et quand elle se termine, ils enchaînent avec Céline Dion. Je souris intérieurement. Je sens un immense bonheur envahir mon âme. Cette famille me plait. Un jour, je chanterai à tue tête avec la mienne.

Malgré l'époque et le temps orageux, il y a quand même un bon nombre de voitures sur le parking. Pendant qu'ils achètent les tickets, je traîne devant les guides et les pubs pour les mariages au château. Je ne tiens pas en place tellement je suis excitée d'être là. Keith se matérialise à mes côtés.

— Je suis sûr que sous tes airs de dure à cuire, tu ne rêves que d'une chose, te marier dans un château ?

Amusée, je tourne mon regard vers le sien et me perds dans ses yeux. Il a l'air d'avoir mis son ressentiment de côté. Temporairement.

— Pas vous les hommes ?

— Moi j'aurais bien voulu mais pas Kelly.

Ah, la fiancée...

— Que s'est-il passé ?

— Si tu es sage je te le raconterai un jour. Mais ce sera en échange d'un autre secret.

— C'est de la triche de m'échanger un potin familial connu de tous te concernant contre un secret !

— Si c'est connu de tous, demande à ton chéri.

Il bute sur le mot chéri, presque exprès, mais je ne me laisse pas démonter cette fois-ci.

— J'ai déjà demandé mais il ne savait pas trop.

— Et bien voilà, tu me livres un secret et je te donne des détails, ceux que je n'ai jamais dit à personne.

— Ça y est ma curiosité est piquée !

Calum passe son bras sur mon épaule et regarde un instant la photo des mariés devant nous.

— Pfff, faut vraiment avoir un cerveau de poule attardée pour vouloir se marier ici. Il doit faire en dessous de zéro, en plus, je parie qu'il faut réserver des décennies à l'avance. Tu as largement le temps de divorcer avant même de t'être fait passer la bague au doigt.

Je rigole et lui tapote la joue.

— C'est pour ça que je t'aime Cal, pour ton infinie délicatesse et le choix de tes mots toujours si percutants ! Allez viens, gros balourd !

Keith s'est rembruni, je doute qu'il ait apprécié la remarque de son frère, ou si ça se trouve c'est sa simple présence qui l'a agacé.

Je ne donne pas complètement tort à Calum quand nous passons sur le pont en proie à un vent glacial et pourtant, malgré ce que mes colocataires racontent, je ne suis pas si frileuse que ça. Je retire quand même mes gants pour sentir la pierre sous mes doigts. Je réfléchis à ce que certaines d'entre elles ont vu et je voyage en pensées du XIIème siècle, aux guerres de clan, à la révolution jacobite... jusqu'à ce jour.

Keith m'observe avant de se pencher et de ramasser un caillou qu'il me tend.

— Il t'en faudra un plus gros si tu veux assommer Calum mais si tu veux juste conserver une trace de ton passage ici, la taille devrait suffire.

Ma main se referme dessus et je fais mine de le jeter sur Cal devant moi qui a déjà l'air de s'ennuyer prodigieusement. Puis, discrètement, je fourre le tout petit caillou dans ma poche. Je ne veux pas que Keith voit que son geste m'a touchée.

J'avais oublié ce que c'était que d'être aimée (TERMINÉ)Where stories live. Discover now