Chapitre VII - Lylhou

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Trois semaines plus tôt.

– Sa Mer... Il est sacrément bien membré celui-là, soufflé-je en faisant allusion au kyrk devant nous.

– Tu ne devrais pas jurer sur les Océans, frangine... Kaa n'aime pas ça.

Arachis, perchée au-dessus de moi dans les branches de l'énorme sapin depuis lequel nous observons le fort, me lance des éclairs avec sa grappe d'yeux tandis que je hausse les épaules en faisant la moue.

Kaa... Le Titan des Mers qui a disparu en entraînant avec lui le reste de mon peuple, à ce qu'il parait. Tu parles que jurer sur la Mer doit franchement lui courir sur le haricot, tiens...

Je détache mon regard de ma sœur velue et le repose sur le kyrk massif.

Ce dernier, qui dépasse ses congénères de deux têtes au moins, a une large et longue queue digne d'un alligator de Kamarkes.

Je plisse les yeux.

Chez les kyrks, leur appendice crocodilien, qui serait un vestige de leur origine wyrm – si j'en crois ce que raconte Daraiden dans ses Encyclopédies – est un signe de puissance. Et plus il est gros, plus ils sont forts. Alors si je me fie à cette seule information, celui-là doit être sacrément balaise...

– On l'élimine ? demandé-je à ma sœur, d'une voix assurée.

Elle sourit en coin.

– N'y pense même pas. Tu n'es pas prête pour affronter un tel adversaire. On va simplement faire ce pour quoi on est venues...

J'arque un sourcil interrogateur. C'est bien la première fois qu'Arachis refuse un combat...

– Oh, je ne suis pas prête ? répété-je, avec une pointe de moquerie.

– Non, tu n'es pas prête, répond-elle, du tac au tac d'un ton monocorde.

Je carre la mâchoire en faisant la moue.

– Bien, si tu as peur d'un serpent puant, ce n'est pas grave. On termine notre infiltration et on décampe.

Elle me foudroie du regard et je m'attends à ce qu'elle me sorte une de ses insultes fleuries dont elle a le secret. Cependant, à ma grande surprise, elle parait ravaler sa fierté – ce qui est une première il me semble – et fronce son chapelet d'iris brillants.

Nous sommes aux abords du Fort Noir, un ancien donjon des géants de Jotur-Heim, peuple disparu depuis plusieurs millénaires. Maintenant en ruine, le fort avait gardé la frontière nord de leur royaume durant des siècles et des siècles jusqu'à ce qu'il soit détruit par les myrmes au cours de leurs colonisations.

Aujourd'hui, les kyrks l'envahissent chaque année pour s'en servir de base d'opérations pour leur raid et leur pillage dans la Vallée du Parthe, la Toundra de Blanche-Épines et La Sapine. Au début de cet été tardif, mon père m'avait confié une reconnaissance du secteur pour lui faire un topo de la situation suite au long hiver que nous venions de passer. La mission s'arrêtait à cela, mais en arrivant sur place, ma sœur et moi avons été étonnées. Étonnées de voir la taille de la horde en garnison ici. D'habitude, ils sont entre cinquante et huitante individus au maximum, mais là, nous les avions estimés à cinq cents dans la forteresse, et plus de deux centaines supplémentaire dans des camps de fortune alentour. Et il semblerait qu'ils attendaient encore des renforts... Nous avions même repéré des gryrks avec eux...

Les gryrks sont une sous-espèce de kyrks, plus petits, mais plus vicieux, qui ne s'entendent généralement pas avec leur cousins plus massif. Cependant, aujourd'hui, ils avaient du poser leurs différents ancestraux pour se réunir et cette triste nouvelle n'annonçait rien de bon.

Après de nombreuses heures d'investigation, nous venions enfin d'apercevoir le grand kyrk qui avait l'air d'être le chef... Nous avions aussi découvert une immense forge qui leur fabriquait armes et armures et, comme si cela ne suffisait pas, les kyrks étaient accompagnés par des loups des montagnes et des scorpides.

Nous nous sommes alors sinistrement rendu-compte que les kyrks ne préparaient pas un raid..., mais une guerre...

– Je crois que cette année, la mission de chasse aux kyrks ressemblera plus à une bataille rangée... murmuré-je en fronçant les sourcils.

– Yep... Tout cela ne me dit rien qui vaille. Bien que...

Le regard de ma compagne s'assombrit, comme s'il se plongeait dans de noires pensées. Puis, l'instant d'après, il se rallume de son étincelle carnassière habituelle.

– Rentrons, me claque-t-elle sèchement en tournant les talons. On doit prévenir ton père de ce qu'on a vu. Il semblerait que vos guildes vont avoir du pain sur la planche cet été... Ne perdons pas de temps, le retour sera long, même en courant.

J'acquiesce sans mot et la suis.

Nous disparaissons ensuite dans les bois, sans bruit, passant parfois juste au-dessus de la tête des sentinelles. Nous coulons de branche en branche, dans la canopée olive et ivoire de la forêt encore couverte des vestiges des neiges d'hiver. L'air frais vivifiant me caresse les joues à mesure que nous progressons dans un silence presque terrifiant. Les arches des pins, des cèdres et des séquoias sont si denses que la lumière de la soleille ne nous parvient pas, même s'il règne au sol une clarté à peine suffisante pour moi, qui voit plutôt bien dans la nuit.

Après avoir mis plusieurs kilomètres entre nous et le fort, nous nous arrêtons auprès d'un petit étang à l'eau glaciale, dans lequel je puise quelques gorgées revigorantes.

– D'où peut bien sortir ce grand kyrk ? demandé-je à voix haute, songeuse, en m'essuyant les lèvres d'un revers de la manche.

– J'sais pô, mais il va être un sacré problème...

– Il est rare que tu trouves qu'un adversaire soit un problème, ris-je.

– Ah ah, il n'est pas un problème pour moi, mais pour toi, belette.

– Tu m'en diras tant. Et pourquoi ça, dis-moi ?

– Bah, je pense que ton daron va nous renvoyer ici et qu'on devra lui faire la peau, à ce kyrk. Mais seule, tu n'es pas de taille et je n'ai pas envie de me mouiller pour toi...

Je grimace de dédain.

– Allons donc...

– Mais ne t'en fait pas, la prochaine fois qu'on le croisera, je suis sûr que tu seras à la hauteur par contre, me coupe-t-elle avec une large risette effrayante. Il te manque juste un petit quelque chose.

– Mais encore ? baragouiné-je.

– Je sais pas. Un truc. Là-dedans.

Elle pose une de ses pattes sur ma poitrine. Je baisse les yeux.

– Mes seins ?

– Baltringue... Je me contre cogne la glande à soie d'ta planche à pain... Tu m'fais pitié...

Je souris en coin, bien que sévèrement vexée, mais prends sur moi. Il faut savoir que la meilleure stratégie pour calmer les mystères exaspérants de ma sœur et de ne pas y prêter attention et de l'emmener là où elle déteste aller. Je marque donc un point avant de reprendre en riant :

– T'es quand même bien chelou des fois, poussinnette.

– C'est ce qui fait mon charme, non ? me répond-elle en découvrant tous ses crocs. Et regarde, ma verve exotique rentre petit à petit dans ta caboche de gamine de la flotte.

– Je suis une ondine, pas une gamine de la flotte, marmonné-je en me relevant et en m'élançant au trot derrière elle. 

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Voilà le pourquoi du comment de l'affaire des kyrks ! Alors, Arachis à t-elle raison ou pas à votre avis ?

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Illustration : Maciej Wojtala (M-Wojtala sur Deviant Art)

La Rôdeuse de la Mer et du FeuTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon