Chapitre VIII (Partie 2) - Vindikaëll

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Comme animée d'un sixième sens, elle pivote, s'incline devant moi et m'accueille d'une chaleureuse risette. Visage fin et nacré encadré de longs cheveux roux, yeux semblables à deux opales de feu étincelantes, silhouette élancée cintré d'une robe carmin, la mage qui me fait face se nomme Anaria. C'est la Maîtresse des Poussières d'Étoiles, une guilde d'aventuriers concurrente à la mienne.

– Messire Vindikaëll, commence-t-elle d'une voix doucereuse. C'est un plaisir que de vous croiser en ce sombre soir.

Je réponds poliment :

– Tout le plaisir est pour moi, dame Anaria. Vous attendiez quelqu'un ?

– En effet. Mais il vient d'arriver.

Elle me sourit. Machinalement je me retourne et cherche du regard quelqu'un d'autre, mais nous sommes seuls dans la grande salle soutenue par de larges colonnes blanches.

– Vous m'attendiez, moi ? repris-je, non sans étonnement.

Elle hoche la tête gracieusement, avec tout le charme des femmes de son rang.

– En quel honneur ? continué-je.

– Je sors à l'instant du bureau du Flambellan. Nous étions en train de discuter de la situation à l'Ouest et des derniers rapports que mes rôdeurs m'ont fait parvenir. Puis, à la fenêtre, je vous ai vu approcher et je suis venue vous accueillir en personne.

Son ton mielleux va à l'encontre de nos relations habituelles et je reste sur la défensive.

– Je connais encore le chemin de la salle du conseil, ma dame, malgré tout le respect que je vous dois.

Elle rit.

– Je sais, messire. Mais je ne suis pas seulement descendue pour vous faire un brin de causette et de charme, bien que cela soit très agréable. Je suis surtout venue à votre rencontre pour vous demander, solennellement, d'enterrer nos différends, au nom des batailles à venir.

Je ne m'arrête pas sur son numéro de séduction, et poursuis d'un ton un peu rude.

– Quelle bataille à venir ?

– Le Flambellan veut exterminer le grand kyrk.

– Comme c'est étrange, c'est précisément la raison de ma visite tardive, ricané-je. 

– Et il va confier cette mission à nos deux guildes, me coupe-t-elle.

Je carre la mâchoire.

– Comment cela ?

La vraie question était surtout, comment savait-il que je voulais conduire une mission là-bas, Lylhou n'a pas trop l'habitude de raconter sa vie avant de venir faire son rapport.

– Vous n'avez pas de prêtre de disponible. Je n'ai pas de guerrier. Et le Flambellan le sait.

– Peut-être. Mais ma fille n'a pas besoin de prêtre, ni de guerrier. Elle travaille seule.

– Cette fois-ci, cela ne sera pas possible. Vous ne pouvez pas faire peser le poids de notre pays tout entier sur les épaules de votre fille... Nous parlons d'un grand kyrk comme nous n'en avons pas vu depuis les Guerres des Ogres.

Je me mords les lèvres et commence à monter les escaliers, les yeux plissés, escorté de près par la mage.

– Vindikaëll... Attendez !

Je m'arrête et me retourne. Les dents serrées, elle continue d'un timbre si abattu qu'il m'interdit toute échappatoire :

– Trois de mes rôdeurs sont morts durant leur périple... L'avenir de nos nations, voir peut être du monde entier, est en train de se jouer ce soir, messire. Ne gâchez pas tout par égo et rancune...

Sa voix périt au fond de sa gorge.

– Je suis navré pour vos pertes, ma dame, répliqué-je d'un ton compatissant.

– Ce sont les risques du métier. Même si je ne sors plus autant qu'avant, nous avons tous frôlé la tombe un jour ou l'autre, et vous plus que tous les autres j'en suis certaine.

Elle s'arrête un instant. Dans son regard de braise, je ne lis que de la peine et une infinie tristesse. Serait-elle franche ? Voudrait-elle vraiment tirer une croix sur notre passé tumultueux ?

Pourquoi ce soir en particulier ? Pourquoi une alliance ? Elle a des rôdeurs compétents. Même si apparemment il lui manque un guerrier dans son roster [1], rien ne l'empêche d'avoir recours à des mercenaires, ou même de prendre des paladins ou des druides pour les remplacer. Tout cela pue l'intrigue à plein nez... Et je n'aime pas du tout cela.

– Je n'ignore pas que cela ne s'est jamais fait, poursuit-elle d'un souffle terriblement faible, comme si elle lisait ma réticence. Vous et nous, ensemble. Mais nous savons également tous les deux que les histoires qui nous séparaient dans la peur et la haine n'ont plus lieu d'être. Je ne suis pas Tyran. Je ne dirige pas les Poussières comme lui, et je n'ai aucune raison d'avoir une quelconque animosité envers vous, pas après ce que vous avez fait pour la ville.

– Je n'ai fait que mon devoir, tranché-je. Mais pourquoi maintenant ? Qu'avez-vous appris pour placer ce kyrk si haut sur l'échelle des dangers qui rôdent à nos portes ?

La mage se rapproche de moi et lève la tête, plongeant ses grands yeux jaune soleille dans les miens. Je sens son souffle chaud, parfumé d'une odeur de menthe agréable, me faire frissonner. Mon cœur s'emballe.

– Je vous l'ai dit, Vindikaëll. Nous allons devoir faire équipe ensemble, marcher main dans la main, et je ne veux pas que l'une d'elle y dissimule un surin.

La phénix attrape alors mon poignet délicatement et me le serre, presque avec tendresse, à la manière d'une mère soucieuse pour son fils.

– Acceptez la main que je vous tends, maître Vindikaëll. Le temps du doute entre nous est révolu. Il est l'heure de combattre côte à côte. Je sais que vous êtes fort pour percer les intentions des gens. Voyez comme les miennes sont sincères, je vous en conjure.

Mes prunelles se noient dans son regard enflammé. Hypnotisé, je suis incapable de les décrocher. Mais tandis que mes yeux sondent les siens au plus profond de son âme, je n'y lis que calme et honnêteté. Nulle fourberie ne se cache dans ses pensées. Nulle haine, nulle colère. Une simple et intègre franchise telle que j'en ai rarement ressenti. Alors, du tréfonds de mon esprit, une voix résonne et me dit que je peux lui accorder ma confiance.

Je hoche la tête. Une fine risette se dessine sur sa petite bouche et...

– J'accepte vos excuses, conclus-je. Mais acceptez aussi les miennes, aux noms de tous les membres de ma guilde.

Elle se lève délicatement sur la pointe des pieds et frôle de ses lèvres, qui me paraissent si douces, mon oreille.

– Merci, me souffle-t-elle. Merci, de tout mon cœur.

Le mien rate un battement en hurlant dans mes tempes.


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Roster : terme myrme qui désigne un effectif. À l'origine, un roster était l'équivalent d'une légion dans leur armée.

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Et voilà, Chapitre terminé. Je me demande si j'ai bien fait de le couper en deux... Ça fait deux parties courtes non?

Sinon, que pensez vous d'Anaria? On peut lui faire confiance?

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Illustration : Igor Artyomenko (Haryarti sur Deviant Art)

https://www.deviantart.com/haryarti/

La Rôdeuse de la Mer et du FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant