Chapitre XXIV (Partie 2) - Vindikaëll

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Nous nous retournons et tombons nez à nez avec une énorme tarenkas. Stra'kun serre les dents. Ces araignées sont connues pour être bien plus dangereuses que les loups des montagnes... Celle-là est d'autant plus bien loin de son domaine, les Jungles d'Azamie, qui se trouvent au sud d'ici à un peu plus de quatre cents kilomètres... C'est d'ailleurs la première fois que j'en croise une... Elles ne sortent jamais de leurs forêts normalement...

Par Tain, elle est immense...

– Reculez de ma sœur. Exécution ! ordonne-t-elle à nouveau en se plaquant au sol, prête à bondir.

Ses chélicères claquent et des gouttes de poison suintent de ses crochets.

– Nous ne voulons pas vous prendre le bébé, et encore moins lui faire du mal, commencé-je en tentant de calmer la créature.

– Reculez !

La voix de l'araignée est sévère et rocailleuse, semblant gronder depuis l'Outre-Monde lui-même. J'ai l'impression que la terre tremble sous mes pieds lorsqu'elle résonne.

– Bien, bien, nous reculons, réplique aussitôt mon compagnon goliath en s'exécutant. Mais votre sœur est souffrante. Nous pouvons l'aider et la protéger.

La tarenkas plonge alors son regard dans celui du druide. Yeux dans les yeux, ils restent de longues secondes à s'observer. Secondes qui me paraissent durer une éternité.

L'arachnide doit être le monstre dont nous a parlé la phénix, mais je ne m'attendais pas à cela. Son aura de puissance est si énorme, que j'ai la désagréable sensation d'en subir tout le poids sur mes épaules. Avalant avec difficulté ma salive, je me mets tout à coup à douter de nos chances de survie...

Que fait-elle ici ? Et pourquoi désigne-t-elle la fillette comme une sœur ? Nous recherchons un dévoreur d'enfant, est-ce elle ? Pourquoi voudrait-elle le protéger dans ce cas ? Ce bébé a-t-il un lien avec la phénix qui nous a confié cette tâche ? Impossible, la femme nous a dit que son fils était mort. Et puis, que pourrait faire une bête de cette taille d'un nourrisson si petit ? Je ne connais rien aux tarenkas, mais je ne les imagine tout de même pas à capturer des nouveau-nés pour les manger plus tard... Cela irait à l'encontre de toutes les lois des aînés, et aux dernières nouvelles, aucun d'entre eux ne s'adonnerait à ce genre de cruauté... À moins qu'elle ne soit corrompue, mais alors... pourquoi ses yeux sont-ils toujours vert ?

Alors que toutes ses questions fusent dans ma tête, mon compagnon fait un pas en avant, en tenant fermement son immense hache à deux mains.

En réponse, la créature se tasse encore plus sur elle-même, prête à fondre sur lui d'un instant à l'autre. Les deux individus se jaugent, cela ne fait aucun doute. Le duel qu'ils mènent est pesant. Le sol tremble légèrement sous mes pieds. De la sueur perle du front du goliath. Le regard de l'araignée se fait de plus en plus menaçant. Et pour couronner le tout, l'aura rougeoyante de Silik les plonge dans une lueur de braise.

Alors que la tension s'aggrave de battement de cœur en battement de cœur, je porte la main au fourreau de mon épée longue, à ma ceinture, et j'en repousse la garde avec le pouce. Le glissement métallique de la lame sur sa gaine résonne dans toute la clairière comme un coup de tonnerre.

Un linceul de flammes commence à me couvrir les mains, puis monte sur mes bras. Je sens la colère s'élever en moi. Prêt à fendre l'air d'une seconde à l'autre, j'incante d'un souffle, plus par habitude que pas nécessité :

– Magie élémentaire du Feu : Lame flamboyante.

Puis, je tombe à terre et roule sur plusieurs mètres. La tarenkas m'a sauté dessus et percuté comme une vulgaire poupée de chiffon.

Un mur de roche jaillit devant moi, et, du coin de l'œil j'aperçois mon frère goliath accompagner d'un geste l'incantation qui vient de me sauver la vie.

Aussitôt, l'arachnide bondit hors de portée. Passant son abdomen velu et repoussant sous ses pattes relevées, elle expulse une large bande de soie gluante sur mon compagnon face à elle. Impossible qu'il esquive, mais alors que le jet de colle s'apprête à le toucher, une gangue de pierre l'emprisonne d'un coup, telle une paire de mâchoires sortit du sol.

Je me redresse, mon arme enflammée dans les mains, et serre les dents. Le Feu me consume. Mes cheveux s'embrasent. Le brasier de la colère remonte de mes bras et m'enveloppe d'une aura flamboyante. Elle est rapide... Je ne dois pas perdre de temps !

Je charge.

Une traînée de feu s'étend dans mon sillage et lorsque j'arrive au niveau de l'araignée, je frappe de taille, d'un grand moulinet. La tarenkas, pourtant gigantesque, s'affaisse sur ses membres velus et mon épée fend l'air juste au-dessus de son crâne, tranchant seulement une poignée de poil qui se carbonise instantanément.

La créature me porte un regard de mépris et me repousse avec l'une de ses pattes, comme on enverrait valdinguer un ivrogne un peu trop collant. Puis, tandis qu'elle se redresse et que je boule au sol, elle se ramasse sur elle-même, tous ses crocs dehors.

– C'est tout ce que tu as dans le ventre, Vindikaëll ? crache-t-elle d'un ton mordant.

Mon sang s'arrête. La bouche pleine de poussière, genou à terre, je relève la tête vers elle.

Comment connait-elle mon nom ?

– Vas-tu mourir ici ? continue-t-elle.

Sa voix suinte d'un poison ironique.

Je carre la mâchoire. Oui, vais-je crever ici ? Peut-être, mais alors, je ne partirai pas tout seul !

Cet échange n'a duré que quelques secondes. Secondes qui furent suffisantes à mon camarade druide pour sortir de son tombeau de pierre, recouvert de glu blanche.

Un sourire dément s'étire sur mes lèvres alors que j'aperçois mon frère prendre de l'élan et sauter sur l'araignée. Sa hache, qu'il brandit haut au-dessus de sa tête, est prête à briser une montagne en deux.

Au dernier moment, la tarenkas se décale d'un mouvement surnaturel – comment peut-elle être aussi rapide en étant si grosse – et la lame de Stra'kun s'écrase au sol en fendant pierre, terre et poussière dans un nuage de débris.

L'arachnide se ramasse et bondit sur mon compagnon.

Le heurt est violent, mais le goliath ne bouge pas. Il ne recule pas.

J'ouvre de grands yeux.

La peau et l'armure de Stra'kun semblent avoir fusionné en une carapace de rocs et de pointes de fer. Son bras, replié sur son torse massif, est protégé d'une plaque de roche noire fissurée, qui lui a servi de bouclier, mais qui n'a pas survécu à l'impact. Ses pieds sont ancrés dans la terre par de larges racines de bois.

Un sourire féroce illumine son visage. Mais la fente qui découpe la face velue de son adversaire et d'autant plus effrayante. Elle non plus ne paraît pas avoir souffert du choc.

– Va falloir que tu m'apprennes tes tours, druide, murmure-t-elle d'une voix grave.

Elle bondit en arrière, hors de portée du goliath, et j'en profite pour la cueillir, comme un fruit trop mûr.

– Poigne de Feu ! hurlé-je.

Une vague de flamme s'élève du sol et entoure la créature avant de l'enserrer comme une mâchoire avide de chair. Je joins les gestes de mes mains à ma concentration et crispe mes doigts à en sentir les jointures craquer.

Puis, je referme les deux poings brusquement. Le brasier implose et disparaît dans une volute de fumée sombre et odorant le roussi.

Ma respiration est hachée. Je baisse les bras, soudain pris d'une fatigue écrasante. Le voile de fureur rouge qui m'obscurcissait la vue s'estompe et le feu qui courait sur ma peau s'éteint peu à peu.

Le nuage noir, chassé par le vent, me révèle alors que...

– Par Tain !

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Et bien voilà, le papa a rencontré l'araignée. Ça c'est plutôt bien passé non? xD 

La Rôdeuse de la Mer et du FeuWhere stories live. Discover now