Chapitre XXXII - Éridan

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Le repas commence à se faire long, mais je bois les paroles des trois ondines comme un gamin qui écoute les contes de fées de sa mère ou les histoires extraordinaires que les bardes chantent dans les auberges. Ces trois femmes de l'Eau sont remarquables, bien que Lylhou soit quand même au-dessus du lot. La rôdeuse des Aurores connaît tellement de choses... Les Grottes de Calte, les tribus de bébouins, le Grand Désert, les Ruines de Kraz, de Mork et de Gork, les Enfants Perdus de Nap'Perte, le Glacier de Blanche, les Royaumes Souterrains... Elle semble avoir visité le monde entier. Ses yeux pétillent à chacune des anecdotes qu'elles échangent avec ses cousines de la Mer, visiblement ravie, mais elle parle tellement que son assiette ne se vide pas. Pourtant, la bavette de taureau est exquise et fond en bouche.

Mon regard se pose sur la mage séraphin.

Plutôt discrète, elle ne prend pas beaucoup la parole et lorsque c'est le cas, c'est seulement pour répondre courtoisement à l'une des deux mercenaires. Je la sens sur la défensive ce soir. Difficile de lire sur son visage d'ange ses émotions, mais je suppose qu'elle veut juste laisser Lylhou profiter du repas avec ses consœurs. Les ondines sont très rares dans les terres maintenant, il est donc normal que notre rôdeuse soit si excitée par ce tête-à-tête.

Mes prunelles caressent ensuite les deux guerrières.

Leurs réputations les précèdent, et de loin. Elles aussi ont beaucoup voyagé de par le mondeet je pense qu'elles soutiennent largement la comparaison avec Lylhou. Je ne les avais jamais vues auparavant, mais j'ai eu vent de nombreux exploits dont elles peuvent être fières. Sans compter qu'elles sont très mignonnes, comme la plupart des ondines que j'ai rencontrées jusqu'à présent.

Ah mais attendez... Lylhou est la première ondine que j'ai rencontrée... Et quelle rencontre...

Bon, je l'avoue, je n'ai pas été très honnête ce soir-là, aux thermes. Mais je n'aurais pas pu l'aborder autrement de toute façon. Elle était trop belle et innocente. Impossible de rester serein et calme face à elle... Malgré les années qui passent et qui me marquent, je me sentais littéralement fondre, comme un simple adolescent pré pubère. Non pas que Lylhou soit la plus belle femme de la terre, car, pour être franc, Okamy la surclasse sur tous les fronts, comme la grande majorité des séraphins d'ailleurs. Elles n'ont pas leur pareil niveau charme et charisme. Mais la rôdeuse dégage autre chose que tout cela, et je ne saurais comment l'expliquer.

Bref, voilà, maintenant, avec le recul, je m'en veux terriblement d'avoir agi comme cela aux bains. Je l'ai totalement prise au dépourvu, et c'était loin d'être mon intention première. Cependant, comme je n'ai pas la permission de l'approcher, c'est peut-être mieux ainsi. Si elle me déteste, et il ne fait aucun doute que ce soit le cas après ce que je lui ai dit lors de notre départ, il sera plus facile pour moi de garder de la distance.

Je soupire et serre les dents, plongeant mon regard dans mon assiette vide.

Mon destin n'est pas d'être avec elle, même si j'en crève d'envie. Lylhou est une perle que je ne pourrai avoir. Un trésor défendu. Une parangon de splendeur sauvage inexplorée et inaccessible. Mais je n'oublie pas mon rôle. Je suis là pour la protéger, au péril de ma vie. Vindikaëll compte sur moi. Elle compte sur moi... Je ne peux pas la décevoir, je n'en ai pas le droit ! Et je n'échouerai pas...

Alors que j'entame mon dessert qui vient de m'être servi, une tarte aux pommes et aux prunes légèrement caramélisée, j'aperçois Okamy qui semble tout à coup angoissée sur sa chaise. Elle balaye la foule de ses yeux perçants, comme si elle s'attendait au pire. Un instant plus tard, elle se lève précipitamment, salue la tablée courtoisement et disparaît à grande enjambée dans la taverne. Les ondines, manifestement absorbées par leurs propres histoires, ne relèvent même pas la tête en lui souhaitant la bonne nuit.

Étonné, je reste quelques minutes à observer autour de moi et hormis un groupe de séraphins, des soldats visiblement originaires du royaume de Pic-Neige si j'en crois leur héraldique et leur démarche, rien ne me parait très suspect. Ces trois individus ont l'air, quant à eux, à la recherche de quelqu'un. D'un regard fureteur, ils sondent toutes les tables et tous les passants qu'ils croisent.

Mes iris se posent alors machinalement vers l'auberge et j'entraperçois, l'espace d'une seconde, le visage d'Okamy qui épie la rue derrière une fenêtre.

Mon sang ne fait qu'un tour.

Par Tain ! C'est Okamy qu'ils cherchent !

Je demeure stoïque sur ma chaise et termine de manger le plus naturellement du monde, bien que mes yeux ne décrochent pas des gardes oiseaux qui maintenant s'éloignent. Apparemment, ils ne l'ont pas vue. Tant mieux.

– Le repas fut un réel plaisir, mes dames. Je vais vous laisser entre femmes et m'en aller me coucher. Bonne soirée.

Je me lève de table et me dirige à mon tour vers l'établissement. Lylhou et ses nouvelles amies me saluent d'un signe de tête avant de replonger dans la description de leur itinéraire qui les conduirait à Cyrène.

Lorsque j'entre, je trouve Okamy, contre le mur, essoufflé et visiblement en proie à un début de panique. 

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1er chapitre d'une succession de 3, plutôt court, où nous rentrons un peu dans la tête des compagnons de Lylhou :)

Bonne lecture.

La Rôdeuse de la Mer et du FeuDonde viven las historias. Descúbrelo ahora