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-Bonne nuit les enfants, faites de beaux rêves !

Comme à leur habitude, les parents passent dans nos chambres pour nous dire bonne nuit, avant de retourner dans la leur sans plus de cérémonie. Je soupire, sachant pertinemment que c'était une nuit vide qui m'attendait. Je change ma tenue de jour pour mon pyjama, me dirige vers mon lit faisant mine d'aller me coucher pour ne pas inquiéter les parents s'ils débarquaient soudainement dans ma chambre, même si dans quelques minutes tout le monde dormira et je serais le seul éveillé.

Une fois certain que personne ne viendra me réveiller, je m'installe à mon bureau tout en prenant soin à ne pas faire de bruits. Mon ordi ne m'illuminera pas ce soir, mes parents me l'ont pris. Saleté de cernes, comment je vais faire passer le temps maintenant ?

-Félix ? Tu dors ?

J'entends une voix féminine me parvenir de derrière la porte, alors comme premier réflexe, je me lève et saute sur mon lit, avant de fermer les yeux. J'ai un très bon jeu d'acteur, alors si c'est maman elle n'y verra que du feu.

-Félix, je sais très bien que tu ne dors pas.

En entendant cette voix, un frisson me parcoure l'échine.
Je me dirige en courant vers la porte, et l'ouvre rapidement avant de passer un bras sous les jambes de ma sœur, puis la porte pour ne pas qu'elle se fatigue trop.

-Jennie ? Qu'est-ce que tu fais debout ? Tu vas vite te fatiguer, et tu devras retourner à l'hôpital plus tôt ! Qu'est-ce qu'il y a, tu ne te sens pas bien ? Tu as trop chaud, ou trop froid ? Tu-

-Euh... Félix ? J'suis toujours en vie et je ne suis pas en sucre donc arrête de t'inquiéter dès que je fais le moindre mouvement s'il te plaît.

-Pardon...

-Je te pardonne. Bon, on va camper encore longtemps devant ta chambre ?

Je lui lance un regard faussement outré, avant de la poser sur le lit et de fermer la porte. Je m'assois à côté d'elle mais elle décide de s'allonger sur moi.
Je la regarde en jouant avec ses cheveux, tout en pensant à ce que serait ma vie sans elle. Elle est mon ange gardien, ma seule et meilleure amie, mon avocat, mon garde du corps, ma sœur. Elle me manque tellement ; la jeune fille pétillante, remplie de joie et de vie, qui s'habillait bien même si elle devait sortir les poubelles, qui faisait du repérage de beaux garçons dans les rues, qui se battait avec ceux qui me blessaient, qui me jugeait parce que je cachais mes taches de rousseurs, qui me frappait dès que je me dévalorisais, et qui me faisait des blagues sans humour, oui ; cette jeune fille me manque, ma sœur me manque.

-Lix, ma maladie ne s'aggrave pas tu sais. Je vais même mieux. Les médecins ont dit que je pourrais rester plus longtemps à la maison si ça continue comme ça, et peut être même que je pourrais sortir ! Ce n'est pas génial ?

Si, ça l'est. Du moins, ça aurait pu l'être. Je sais qu'elle me ment ; j'étais là à sa dernière semaine à l'hôpital, et non : elle ne va pas mieux comme elle le prétend. La maladie s'aggrave, et les seules sorties qu'elle fera c'est sûrement les allers-retours entre les blocs d'opérations et sa chambre. Mais je ne dis rien, me contentant de lui sourire.
J'ai un magnifique jeu d'acteur.

-Ils continuent de t'embêter à l'école ?
-Tu me poses vraiment la question ?

Elle me regarde de ses yeux verts, avant de gonfler les joues.

-Ils n'ont toujours pas retenus la leçon ? Ils sont si stupides !
-C'est la vie.

-Sérieusement Félix, tu ne peux pas les laisser t'harceler comme ça sans rien faire ! Je t'ai promis de ne rien dire aux parents, même si j'aurais dû, mais fais quelque chose ! Arrête d'être faible et de te détruire comme ça, tu te pourris à cause d'eux et je ne peux pas l'accepter.

Elle a raison. Mais qu'est-ce que je pourrais bien faire ? Ils ont raison quand ils disent que je suis une erreur, un faible, une tapette. Je ne suis bon qu'à être mauvais, et essayer de leur prouver le contraire ne changerai pas la réalité.

-Mais putain Lix réveilles toi ! Tu ne vas pas vivre toute ta vie en étant une soi-disant "erreur", tu ne peux pas vivre dans le mensonge éternellement ! Ça me tue que tu sois aussi faible, regarde toi, tu fais pitié !

Je retiens un rictus inutile ; j'ai tellement l'habitude de recevoir ce genre de commentaires que cela ne me fait plus rien. Mais venant de ma sœur, cela devrait me choquer ?

-Je ne te reconnais plus... Où est passé ce Felix souriant, qui pleurait quand il écrasait une fourmi et qui confondait chat et chien ?
-Il est mort avec toi.

Elle ferme les yeux et se pince les lèvres. Au bout de quelques secondes silencieuses, elle lâche un gros soupir puis se redresse.

-Je suis fatiguée. Je retourne dans ma chambre.

Je la porte sans un mot avant de m'engager dans le couloir éteint, en faisant attention où je marche. J'arrive finalement devant sa chambre, la pose sur son lit puis repars.

-Putain.

Je prends mes chaussons, me dirige dehors, respire l'air frais d'un soir de Novembre, et me met à marcher vers une destination inconnue. Ce sera toujours mieux qu'à la maison. J'en pouvais plus : je savais que ma sœur avait raison, mais depuis qu'elle me ment sur sa maladie, je n'arrive plus à la croire. Je n'ai pas envie de l'écouter, elle ne me fait pas confiance, je ne vois pas pourquoi je devrais. Je sais que c'est débile, que je suis têtu, et que c'est un comportement de gamin, mais je m'en fiche. Tout a toujours été comme ça, pourquoi ça devrait changer ? Si mon étiquette est d'être une erreur, alors je le serais. C'est toujours mieux que d'être invisible.
Je me sens vivant quand je ressens la douleur, et j'en souris. J'aime recevoir de l'attention, aussi horrible soit-elle. Quand ils parlent sur moi ou me pointent du doigt, je n'ai plus l'impression d'être transparent.
Petit, tout le monde me rejetait à l'école, et même au supermarché ou dans les rues les gens m'évitaient, je ne comprenais pas. Alors je me suis forgé ma carapace, celle que personne ne peut briser. Mon cœur s'est blindé lui-même, mes yeux se sont vidés, et mes lèvres ne se sont plus jamais étirés. Je pensais déjà que j'étais au fond du gouffre, mais quand on m'annonça la maladie de ma sœur, ce fut mille fois pire. Tout mon monde s'écroula, je ne pouvais pas y croire, non ; je ne voulais pas y croire. Mais la vérité m'a frappé de plein fouet, j'ai dû l'accepter.

Si mes pieds m'ont mené à ce parc c'est seulement pour m'en souvenir.

-Tu pleures ?
-Non je ris.
-Alors rions ensemble.

That's what I though.

ѕσυℓ мαтєѕWhere stories live. Discover now