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Un coup de pinceau, puis un deuxième s'écrase contre la toile, y abandonnant une trace colorée. Les pigments s'imprègnent immédiatement dessus pour essayer de combler l'immense vide qui y régnait alors. Les couleurs tombent comme des coups de tonnerre, à en faire trembler mon vieux chevalet.

Par delà la fenêtre, les nuages ont fait leurs bagages. Seul le bleu du ciel s'étend à perte de vue, trônant sur les toits désertés et les rues bondées.

Même le royaume des anges a décidé de fuir.

Il n'y a que du bleu. Le bleu avec ses teintes infinies, ses contrastes parfaits, son angoissante étendue qui ondule à chaque seconde. Le temps s'écoule comme le torrent azuré au-dessus de nos têtes mortelles.

Je laisse la fenêtre ouverte. J'aime bien le vent qui passe dans mes cheveux. Je sais que tu aimes ça aussi, le mistral qui danse et virevolte au milieu des passants ; et que tu aimes les flèches ardentes qui dardent sur nous un regard incandescent. 

Et puis ça compense l'obscurité de la pièce qui m'entoure, cette obscurité qui enserre et comprime mon coeur, cette obscurité qui me lacère et laisse dans ma chair le souvenir de ses griffes aiguisées.

Parfois, l'éclatant souvenir de ton visage surgit d'un recoin de mon esprit, comme une image solaire, un flash aveuglant, la lumière du phare qui transperce le brouillard dans la mer déchaînée, comme autant de petites aiguilles qui me traverseraient de part en part, qui me sortiraient de mon implacable léthargie.

Alors je zèbre ma toile. Comme un marin qui perce les eaux, je rame avec mon pinceau pour avancer. Parce qu'après tout, il n'y a que ça à faire.

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