C i n q

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Nous parlions, de temps en temps. Pas souvent. J'étais discret. Le genre d'élève qui ne fait pas de vague. Le genre de garçon qui sort seul ou accompagné de ses proches. La petite vie solitaire, bien rangée, loin des lumières, je l'expérimente depuis mon enfance. L'art me suffisait. Les dessins, les mots, les couleurs étaient mes armes les plus solides.

Au début, j'ai songé que nous n'avions pas grand chose à nous raconter. Des petites phrases bateau par-ci, par-là ; le genre de phrases de romans qui sauvent la face, qui donnent l'impression de vivre et non d'exister. Parfois rien, aussi. Juste le silence.

C'est là que j'ai compris. Nous étions assis sur un banc. Tu m'as appelé, à la fin du cours, quand notre professeure avait fini par partir, que les élèves avaient quitté la salle un par un, la plupart en groupe, d'autres, solitaires.

Est-ce que je te faisais pitié ? Dans mon petit blouson, ma sacoche en bandoulière, pour qui m'as-tu pris ? Un vagabond qui partait à l'aventure pour retarder son agonie ?

As-tu perçu une lumière autour de moi, comme si deux ailes étaient apparues dans mon dos ?

Je m'arrête un instant. Dans l'obscurité de mon atelier provisoire, face à la fenêtre, mon doigt a flanché. Les larmes me montent aux yeux, elles me brûlent. Mais je m'en fous. Elles peuvent couler. Après tout, ça fera une jolie aquarelle.

Je ferme les yeux un instant. Il n'en faut pas plus pour t'avoir à mes côtés.

Je me suis retourné, humant encore l'odeur de peinture qui sortait de cette salle où on donnait vie à nos désirs en suivant les conseils de notre professeure. Tu étais là. Tu me regardais, un instant. Le silence nous a gagnés.

Puis nous avons parlé. Tu m'as complimenté sur mon style. Je ne pouvais pas en dire autant. Tu n'étais pas là pour peindre, et Madame Petits-Pinceaux te reprenait sans cesse. C'est même toi qui lui as donné ce surnom ; je crois qu'elle en rirait, aujourd'hui. Moi aussi. 

J'avais trouvé ça culotté, à l'époque. Osé. Vulgaire, même. Tu t'en foutais, au final, de réussir ou non, de progresser, de dépasser tes limites. Tu progressais à ta manière. Tu étais ce genre de personnes à ne pas savoir pourquoi tu avais mis les pieds là, mais tu y étais.

Et au fond, je crois que ça me plaisait.

Nous nous sommes promenés sous les arbres dansants. Nous avons échangé quelques banalités. Mais ça ne me dérangeait pas, au fond. Tes banalités avaient le goût du fruit défendu.

Je t'en ai fait la remarque, une fois. Tu as ri. J'aime ton rire. Il est si fort, si prenant, entraînant, comme une musique qui tonne jusqu'au plus profond des spectateurs qui t'entourent. Ce rire, il est si fort, un peu forcé aussi ; on sent que tu t'entraînes souvent. Tu n'as pas le choix. Tu ris parce que c'est une bonne façon de communiquer.

Parfois, je croise ces jeunes qui ne me ressemblent pas, et j'entends un semblant de ton rire parmi eux. Et s'il ne pleut pas dans le ciel, ces quelques notes décalées dans l'air tombent sur mon coeur comme une douce averse.

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