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Je reste souvent le soir, devant la salle de cours, à me demander quelle conversation nous aurions pu avoir encore. Tu aimais me raconter tes journées au lycée. Nous n'étions malheureusement pas dans le même établissement. Combien de fois en ai-je rêvé ? Combien de fois ai-je espéré qu'un soir, on m'annonce que je doive quitter le mien, pour partager ton quotidien ?

Devant cette toile, je me sens un peu con. Je la travaille depuis des jours ; les heures se succèdent les unes aux autres, les horloges tournent sur elles-mêmes tandis que je demeure ici, l'espoir au bout des doigts, laissant ses larmes colorées goutter.

Mes coups de pinceaux s'accumulent, l'aube cède sa place au crépuscule et pourtant, je reste toujours immobile, perdu dans le dédale de souvenirs qui éclatent à chaque nouvelle touche.

Ce soir d'automne, nous avons parlé du ciel, de nos rêves, de ces choses qu'on abandonne, de ces rêveries perdues ; nous avons mêlé nos quotidiens, nous avons espéré ensemble, nous avons construit le monde.

Tu m'as montré tes oeuvres ; rien d'extraordinaire, pour quelqu'un qui s'y connaît. Pourtant, il y avait autre chose, dans tes points immenses, dans ton univers tourbillonnant et grossier ; tout était à sa place, tout dégageait une énergie indescriptible. Le soir, quand les ténèbres se referment sur mon coeur, j'imagine ton tableau danser sur mon plafond.

Tu t'es moqué de Madame Petits-Pinceaux. Tu t'es moqué de moi. Mais au fond, je savais que ça n'avait pas beaucoup d'importance.

Parce que ce soir-là, tu m'as appris que l'art n'est pas une évidence. Que rien n'est acquis. Et que rester dans ma petite voie bien tracée n'allait que me mener au bord du gouffre.

On finit tous par y tomber, alors il faut rendre la chute plus belle... C'est ce que tu dirais, n'est-ce pas ?

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