Q u a t o r z e

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Plus les coups de pinceaux chutent sur le tableau, plus ma colère monte, en même temps que les souvenirs. Ma mémoire m'emprisonne dans ce tourbillon de couleurs fades, sombres, grisâtres. 

Je suis épuisé ; mon corps est sur le point de chavirer entre les tempêtes de l'existence pour rejoindre mon âme naufragée.

Depuis notre baiser, j'aurais aimé que tout ait changé. Mais nous sommes restés les mêmes, toi le lumineux colérique et moi l'écorché qui vit dans sa bulle, l'ombre, les ténèbres. C'est pathétique. On n'en a jamais parlé, restant prisonniers des mots sans voix.

C'est ce que j'aime encore, dans les souvenirs qui viennent à moi ; ta présence, juste ta présence, la compagnie d'un fantôme et le fracas de notre silence.

J'aimerais tellement pouvoir m'excuser auprès de toi. Parce que j'ignore si c'était réciproque. Je ne sais pas si tu aimais rester avec moi sans un mot, sous l'ombre du préau, à écouter le chant de la pluie ou le vent qui danse dans les feuilles. Je savais que t'aimais bien me regarder. Je ne suis pas idiot.

Et maintenant ? Me regardes-tu encore, dans ton lointain pays ? De quelle couleur est ton ciel, là-bas ?

Et puis il y avait ces soirs, ces longs soirs, lorsqu'on sortait du cours, où je t'écoutais, mot après mot, phrase après phrase, me raconter des événements dont je me moquais, des choses que je ne connaissais pas, ton univers dans lequel tu me faisais entrer.

Je suis un artiste, mais de nous deux, tu étais le meilleur conteur ; à tes côtés, je ne voyais pas passer les heures, les minutes, les secondes, et tes histoires me donnaient l'impression d'avoir conquis le monde.

Au final, que je ne connaisse pas ces personnes dont tu me décrivais la vie, que je n'arpente pas les couloirs de ton lycée, que je ne vive pas à tes côtés tous les jours m'importait peu.

Tu étais la voix de toutes ces aventures qui nourrissaient mon profond désir de continuer à côtoyer ton futur.

ArtificielsWhere stories live. Discover now