Artificiels

T r e i z e

Je ne me souviens plus de ce que tu m'as dit ensuite. En réalité, chaque fois que je te voyais, j'entendais le ton glacial de ta voix m'ordonner d'utiliser mon talent autrement. Chaque fois que nos regards se croisaient, tes yeux me murmuraient d'avancer dans une autre voie.

Chaque fois que nous parlions, du temps ou de nos rêves, je n'avais qu'une oreille attentive à notre relation : l'autre faisait claquer l'écho de ta volonté dans mon esprit tourmenté.

Je me rappelle très bien de ces questions que tu aimais me poser. Tu voulais me comprendre. Est-ce que j'étais une sorte de mystère, pour toi ?

— Pourquoi aimes-tu autant l'art ?

— Je ne sais pas... Je dirais que ça me calme. C'est ma voie, mon monde, mon tout. Depuis que je suis gamin, je tiens un crayon. J'écris, je peins, je dessine... ça me console, ça me rappelle que je peux avoir une voix, que je ne suis pas qu'un con parmi tant d'autres. Tout m'apparaît plus beau et tellement plus laid quand j'entre dans ce monde... Quand tu peins, tu as un bout d'univers devant toi. Un bout d'univers tellement parfait, un bout d'univers qui t'appartient.

— Je vois. Dis-moi... Tu aimerais que l'univers t'appartienne ?

— Non. Le mien me suffit... Qu'est-ce qu'il y a ? Pourquoi est-ce que tu souris ?

— Pour rien. Je me dis juste qu'il y a plusieurs façons de conquérir l'univers. La mienne : la barbare, celle qui accapare les voix et les oreilles du monde, et la tienne, celle qui dompte notre propre univers.

— Le bruit et le silence.

— Oui. C'est pour ça que je suis venu. Pour les cris de l'art. Le hurlement de ce qui est Beau. Mais tu sais ce qui est encore meilleur ? Le murmure des couleurs.

Et tu sais ce que j'ai préféré ? Assis sur ce banc, alors que l'averse s'estompait, alors qu'on attendait le bus, protégés des larmes du ciel, en-dessous des tristes éclats des toits solitaires et des nuages éphémères, sais-tu ce que mon âme d'artiste a chanté ?

La symphonie de nos baisers colorés.