Artificiels

Q u i n z e

— Eh, j'ai besoin de savoir un truc.

— Quoi ?

— Si tu ne devais garder qu'un sens, tu choisirais lequel ?

— T'as de ces questions ! Pourquoi me demandes-tu ça ? Ne me dis pas que t'es...

— Eh, zen. Je ne suis pas malade. Enfin... Enfin je ne compte pas perdre de sens. C'était juste comme ça... Tu me fais la gueule ?

— T'es pas croyable... Pour un peintre, tu te doutes bien que je choisirais la vue. J'ai encore trop de belles choses à voir.

— C'est vrai que c'est chouette, la vue... Admirer le monde avec sa palette de couleurs... Dis-moi, c'est quoi, ta couleur préférée ?

— Vert.

— Vert ?

— Vert. C'est ce que je viens de dire. Tu voulais me demander pourquoi ? Parce que c'est la couleur de la vie, des arbres, de l'émeraude, des pommes. Ouais, j'aime les pommes. Le fruit interdit, tu vois ce que je veux dire ?

— Généralement, celles-là, elles sont rouges.

— Non. Mon fruit interdit, il est vert. C'est la couleur de la vie. C'est interdit, pour les artistes maudits. Je crois que c'est pour ça que j'aime le vert.

— Tu sais que c'est pas beau, de montrer du doigt ?

— Arrête de te foutre de ma gueule. Tu sais très bien pourquoi j'aime cette couleur. C'est la nôtre.

— C'est tellement mignon que ça me donnerait envie d'en écrire, des vers !

— Ta gueule.

— Me complimenter sur mes yeux pour me dire ensuite de la fermer... C'est pour ça que je t'apprécie.

— Bon, au lieu de te moquer de moi, si tu répondais à tes questions ?

— Tu veux que je commence par laquelle ?

— Celle que tu veux... Tiens, le sens que tu garderais.

— L'ouïe. J'aime trop le bruit des vagues, le chant des oiseaux, le chant des sirènes, même la voix de la putain de ville, avec ses voitures qui hurlent et les talons qui claquent sur le sol. Même le lycée, les profs... Et j'aime trop la musique. Tu sais quelle est ma musique préférée ?

— Non ?

— Ta voix.

— T'es con !

— C'est pour ça que tu m'aimes bien, non ?

— Ouais. Bon, et ta couleur, du con ?

— Bleu.

— Bleu ?

— Bleu. Ah, tu vois, les rôles sont inversés, maintenant !

— Pourquoi ?

— Je l'aime bien, cette couleur. Au-delà des stéréotypes débiles : le bleu c'est pour les garçons et le rose pour les filles... Déjà, petit, je trouvais ça idiot. J'aime le bleu parce que j'aime des choses qui sont bleues. Genre la mer. Ou le ciel.

— Tu vois grand, hein ?

— Ouais. J'aime les étendues où il y a de la place pour nous deux. Deux oiseaux solitaires...

— Ouais. Deux aigles, nobles, majestueux.

— Et qui chieraient sur les cons.

— T'as l'art de tout gâcher.

— Merci ! Venant de toi, j'imagine que c'est un compliment...