9/ En Équilibre

643 63 259
                                    

Nuage d'Obsidienne s'écrasa violemment au sol, la respiration haletante et la fourrure couverte de poussière et d'aiguilles.
Deux pattes à l'emprise solide la maintenaient prisonnière et l'empêchaient de reprendre correctement son souffle.

« Inutile de dire que c'est raté. »

Le ton acerbe de Langue de Vipère lui écorcha les oreilles; son mentor portait définitivement bien son nom...

« Je n'arrive pas à atterrir sur mes pattes quand j'esquive en roulade, expliqua clairement l'élève tout en s'ébrouant.

- Tu n'as pas le bon rythme.

- Je suis trop lente ou trop rapide ? hasarda-t-elle, perplexe.

- Ni l'un ni l'autre, c'est une question d'équilibre. »

La grande femelle, d'un gris tigré de noir, se léchait une patte de devant avec nonchalance et semblait ne pas vraiment prêter attention à son élève.

« C'est une énigme ? Parce que si c'est le cas j'ai toujours été médiocre ! la railla Nuage d'Obsidienne, en levant les yeux au ciel.

- C'est juste du bon sens, répliqua son aînée, sans oublier de la toiser au passage.

- Tu pars du principe que j'ai du bon sens ? Trop aimable... »

C'était la phrase cynique de trop, Langue de Vipère virvolta sur elle-même et avant même que Nuage d'Obsidienne se rende compte de quoi que ce soit, du sang perlait sur sa truffe rosée...

« L'effet de surprise, expliqua son mentor, en donnant un coup de langue sur ses griffes tachées de rouge.

- Je vois le rapport avec mon museau ensanglanté mais j'ai du mal à faire le rapprochement avec l'équilibre ! cracha sa cadette, outrée.

- Et pourtant, les deux sont intimement liés, tu ne peux pas espérer gagner un combat sans rythme. Le rythme c'est l'équilibre de tout ce qui t'entoure », répliqua Langue de Vipère, de nouveau calme.

La jeune apprentie ravala une réponse cinglante : elle avait souhaité un entraînement sans pitié, elle ne pouvait plus reculer.
Mais sa truffe brûlante de douleur lui donnait déjà envie de renoncer à ce pari stupide !

C'était sa première journée complète avec son mentor.
Langue de Vipère l'avait réveillée avant l'aube pour lui faire visiter le territoire au pas de course, lui expliquant clairement les délimitations entre les clans et leurs odeurs respectives, les terrains de chasse et leurs caractéristiques...

Bien entendu, elle attendait de son élève une mise en pratique immédiate : Nuage d'Obsidienne avait dû lui réciter l'entièreté des notions intégrées au cours de la matinée.
Rien d'insurmontable à cela n'est-ce pas ?
Il fallait rajouter à cette consigne l'ordre d'escalader un grand sycomore aux lourdes branches et à la silhouette écrasante de majesté.
Langue de Vipère n'avait pas tant critiqué le contenu de son texte mais sa façon de grimper: pas assez féroce à son goût.

La critique était mot pour mot la suivante :

« Quand tu grimpes, c'est toi toute entière qui va vers le haut ! Ton esprit, tes émotions, ta volonté... tous doivent animer chacun de tes gestes pour leur donner une vraie consistance ! Tu dois sentir en toi la vélocité nerveuse de l'écureuil, la précision fatale du serpent et l'audace farouche du tigre. »

Nuage d'Obsidienne avait dû exécuter l'exercice une bonne quinzaine de fois avant que son mentor s'estime, non pas satisfaite, mais lassée.
Pourtant la chatte noire savait bien que jamais elle n'aurait droit à un compliment, c'était le pacte.

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~  I. RancœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant