LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~ I. Rancœur

29/ Qui es-tu ?

« Tu es lente ! Bien trop lente ! » La railla Langue de Vipère, hilare.
La lieutenante se délectait de la tension qu'elle créait autour d'elle. Nuage d'Obsidienne semblait dévorée par une colère brûlante où la raison n'avait pas sa place.
Langue de Vipère esquivait sans peine et, connaissant ses pas à la perfection, elle virevoltait comme une danseuse. Sa chorégraphie, pareille à une valse mortelle, la menait vivement vers le point d'orgue du duel: une victoire éclatante. Tout était calculé, même la fantaisie était étudiée.
Dans ce cas, pouvons-nous vraiment parler de fantaisie ?
Mais peu importe car, au final, le sortilège fonctionnait. Personne n'aurait pu dire si Langue de Vipère était guidée par l'instinct ou par un contrôle si parfait que rien ne pouvait la faire dévier de son but.

Son élève était douée, plus que douée, la chatte tigrée ne pouvait pas le nier.
Simplement, une rage foudroyante l'animait en permanence. La féline de jais ne parvenait jamais à se laisser aller dans le rythme du duel. Elle se laissait dépasser par ses émotions trop vives et trop folles, semblables à une nuée de mouches.

~~~O~~~

Nuage d'Obsidienne essayait de brider les vagues de colère qui s'écrasaient sur les falaises de son âme... Oui, dans ces moments là, elle se sentait comme possédée.
Elle était comme assujettie à une force sombre et indissociable de son être, semblable à un parasite la rongeant de l'intérieur.

Les trombes d'eaux s'adoucirent pour se muer en une bruine vaporeuse.

Elle respira puis bondit souplement sur un roc mousseux rendu glissant par la pluie battante. Les bourrasques humides ébouriffaient sa fourrure charbonneuse. Son regard embrasé par la flamme de la rage se fit plus dur, plus calculateur. Peut-être même que, pendant un court instant, la rage laissa place à l'intelligence.
Une véritable finesse ensorcelaient ses gestes tandis qu'une voix lui susurrait au creux de l'oreille :

« Laisse ta colère de côté et apprends à lâcher prise. »

Ses muscles se détendaient, ses nerfs cessaient de se crisper, la tension qui l'habitait semblait presque fondre comme la neige sous les feux du zénith.

« Apprends à ne pas tout centrer sur toi. Ouvre-toi à ce qui t'entoure. »

Nuage d'Obsidienne connaissait cette voix, ce n'était pas la première fois qu'elle percevait ses murmures.
Quoi qu'il en soit, une espèce de sérénité faisait doucement plier la haine.

« Laisse toi aller, laisse toi guider, et bientôt, tous s'inclineront devant toi... »

Doucement Nuage d'Obsidienne pu entendre le chant lointain d'un geai, humer les effluves musquées de la terre et des marais, percevoir du coin de l'œil le vol gracieux d'une libellule, sentir la douce rugosité de la pierre sous ses pattes et même goûter à la fraîcheur soudaine de l'averse dans sa gueule.

Tout était perceptible.

Les attaques de Langue de Vipère semblaient comme ralenties et prévisibles !
Nuage d'Obsidienne pouvait sentir les battements de son cœur s'apaiser. Elle pouvait écouter le son cristallin de ses griffes déchirant l'air, pareil au carillon le plus pur.

Tout lui paraissait plus vivant que jamais !

Une délicieuse euphorie s'installait au fond d'elle. C'était un cap à suivre.

Bientôt la cadette rendit coup pour coup à son aînée.
Elle avait enfin compris. Quelque chose au fond d'elle s'était débloqué.
La grâce et la maîtrise, la stratégie et la fantaisie; tout semblait soudainement acquis.

Elle était aussi redoutable et intouchable que dans ses rêves les plus fous.

Elle était invincible.