32/ Regarde-moi

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     Nuage d'Azur fonçait à travers la lande toute frangée d'or par l'ardeur du soleil levant. Véritable éclair blanc, il filait sans entraves entre les collines à l'herbe cuivrée et clairsemée par les morsures brûlantes de la saison sèche.
Les racines des aubépines craquelaient la terre assoiffée et semblaient ainsi l'orner de mille fissures.
Quant aux essaims de sauterelles, ils dansaient autour de lui à chacune de ses foulées dans une valse mordorée.
De nacre et d'azur le camaïeu qui habillait les cieux semblait vouloir crier au monde sa splendeur.

L'air embaumait merveilleusement la lavande et le coquelicot.
Plus Nuage d'Azur avançait plus le paysage se teintait d'une belle teinte violacée.
Au milieu des collines diaprées d'une lumière zinzoline apparut Éphémère, toute chamarrée de couleurs exubérantes.
La dune aux mille fleurs, où tous les morts du clan du Vent trouvaient le repos, semblait gagner en beauté à chaque nouveau défunt venant nourrir son sol.

Doucement le novice ralentit, se laissant absorber par le bleu hypnotisant des myosotis, l'incarnat fragile des pavots ou l'orangé rieur des soucis.
Le vol pur d'une frêle colombe traversa le ciel et, pendant un instant, Nuage d'Azur se rappela des caresses, des douceurs et des étreintes de son enfance.
Cette époque parfaite où tout n'était que volupté lactescente.
Le regard plein d'amour de sa mère était à la fois flou et tellement réel dans son cœur.
Son parfum miellé enveloppait son esprit, le capturant dans le fragment d'un souvenir, dans un éclat du passé.

La colombe s'évanouit à travers le reflet d'un nuage, l'arrachant de justesse à un élan de mélancolie.
Nuage d'Azur observa plus attentivement le décor et aperçut, perdue au milieu des spirées rosées et du jaune éclatant des gerbes-d'or, une fleur saupoudrée de cendres...

Une fleur souple et élégante à qui il ne manquait qu'un seul pétale pour être qualifiée de magnifique.
Une fleur qui n'avait jamais cessé d'éclore malgré la dureté des éléments.
Une fleur vivace qui voulait vivre quoi qu'il advienne.
Une fleur que Nuage d'Azur aurait bien appelé Fleur de Brise.

« C'est beau tu ne trouves pas ? » la héla-t-il au pied de la pente.

L'intéressée sembla sortir de ses songes et, après une seconde d'hésitation, posa sur lui ses prunelles taillées dans le jade.
Elle le sonda longuement, cherchant sûrement une trace de dégoût ou de répugnance dans les yeux de celui qui avait été son ami.
Presque aussitôt Nuage d'Azur détourna le regard, gêné.
De la gêne, vraiment ?
Non, de la honte serait plus exact...
Nuage de Brise finit par répondre avec une froideur qui n'était pas sans rappeler le fracas d'une averse de grêle sur la terre glacée :

« Je la préfère à la saison froide quand elle est toute drapée d'edelweiss. »

Le cape nivéale d'Éphémère quand fleurissaient les primevères, les perce-neige et les gracieuses edelweiss avait en effet quelque chose d'ensorcelant.

Nuage d'Azur la rejoignit et s'installa au sommet, à ses côtés.
Il jeta un rapide coup d'œil à sa blessure et s'étonna de la voir parfaitement masquée par un doux duvet aussi gris que le plumage d'un jeune faucon.
Ce n'était plus si affreux.
L'eau avait coulé sous les ponts...
On aurait presque dit qu'elle était née comme cela, avec une patte en moins, comme un simple oubli.

« Pas une seule fois tu n'es venu Nuage d'Azur. »

Le reproche tomba, dur et vrai. Nuage de Brise n'était pas du genre à tergiverser.
Nuage de Brise était un peu comme une flèche : elle allait droit au but.
Oui, Flèche de Brise lui siérait parfaitement.
Enfin, une flèche mutilée de son empannage n'allait pas bien loin...

« Pas une seule fois tu n'es venu...

- Je suis désolé, articula difficilement Nuage d'Azur.

- Vraiment ? Non j'en doute, mais après réflexion, je me demande si il y a vraiment quelque chose à pardonner. 
Je ne supportais que très mal la vision de ma mutilation et voir, dans les yeux des autres,
le fidèle reflet de ma propre déchéance était invivable.
Toi, tu m'évitais donc je ne pouvais rien te reprocher.
Tu m'as épargné les longues louanges sur le rôle de guérisseuse et les œillades dégoulinantes de pitié.
Pourtant, va savoir pourquoi, je t'en veux.

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~  I. RancœurWhere stories live. Discover now