31/ Accalmie

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   Nuage d'Obsidienne balaya l'île du regard...

Où était-il ?

Un félin blanc comme la neige sur la branche se distinguait facilement.
Un félin aux prunelles découpées dans la toile d'un ciel d'été se repérait aisément.

Pourtant elle ne le trouvait pas.
Elle avait besoin de lui, besoin de lui parler, besoin de l'informer de la suite des événements.
Son plan reposait en partie sur lui.
Museler la haine qui surgissait toutes les fois où elle pensait à ce novice ennemi n'était pas chose simple.
Nuage d'Obsidienne n'avait pas le choix, pour trouver les traîtres, il lui fallait faire des concessions. Il lui fallait mettre son esprit rageur de côté, au moins pour un temps.

La tiédeur poisseuse des bourrasques lui collait désagréablement au pelage et l'impatience lui faisait friser les moustaches d'agacement.
Nuage d'Obsidienne s'installa sur un petit roc qui lui donnait une vision surplombante sur les flots félins.
Ses longues griffes, finement courbées, crissaient sur la roche chauffée par les vaillants rayons du soleil désormais couché.
Son ombre titanesque et anguleuse s'éclipsait sous la clarté livide de la lune et sa truffe saillante, déchirée d'une cicatrice, humait les effluves plus ou moins nauséabondes des chats présents.

Nuage d'Obsidienne prit une longue inspiration et laissa ses sens s'égarer et flâner partout autour d'elle : ses yeux plus rougeoyants que des braises incandescentes se dardaient sur tout et tout le monde.
Son écoute attentive rabattait vers elle les paroles perdues aux quatre vents. Son flair infaillible révélaient les émotions de chacun; rien n'était plus repérable que l'odeur de l'angoisse.

Là elle se sentait chasseuse !
Nuage d'Obsidienne savourait l'allégresse de la traque comme la proie la plus délectable.
Aussi patiente que la tigresse tapit dans l'ombre, aussi précise que l'aigle tournoyant dans les cieux, aussi fatale que le venin délétère du serpent sifflant, aussi...

« Tu te perds dans tes songes ? »

La question, posée sans détours, la tira un instant de sa concentration extrême.
Nuage d'Obsidienne avait senti Averse de Grêle depuis un moment déjà, mais elle avait espéré qu'il lui ficherait la paix.

Installé à ses côtés, le puissant matou la dominait de par sa carrure écrasante de solidité.
Nuage d'Obsidienne elle, possédait la finesse élégante d'un croissant de lune, ce qui la faisait presque passer pour gracile aux côtés du guerrier du clan de la Rivière.

« Me perdre ? Je ne me perds jamais et encore moins dans mes songes, répliqua-t-elle, acide.

- Moi j'aime bien me perdre. Se perdre pour enrichir son âme et pour mieux se retrouver...

- Se perdre pour mieux chercher des puces à une novice du clan de l'Ombre...
Tu respires l'angoisse Averse de Grêle, est-ce moi qui t'effraie ? »

La chatte ébène, toute frangée d'argent, braqua ses perles ambrées dans les saphirs du combattant, le sondant avec une pointe de dédain. Celui-ci soutint son regard comme pour la mettre au défi de le toiser davantage.
Il semblait changé depuis leur dernière rencontre : plus sur la défensive, plus fragile.

« Beaucoup de choses m'inquiètent et m'attristent c'est vrai mais toi non, toi tu n'as rien d'effrayant, Lune d'Obsidienne. »

Lune d'Obsidienne ! Le clair-obscur qui se dégageait subtilement de ce nom était magnifique et la représentait bien.
En revanche elle trouvait que « Lune » sonnait un peu mièvre.

« Tu baptises les novices maintenant, Étoile de Grêle ? Tu as remplacé ton papi ? » se moqua-t-elle toujours aussi cinglante.

Un voile brumeux assombrit les yeux du jeune mâle et le timbre de sa voix, quand il reprit la parole, était cassé par la peine :

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~  I. RancœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant