19/ Un Cycle

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    Nuage d'Obsidienne lapa la surface pure du court d'eau qui créait une délimitation avec le clan de la Rivière.

Trois lunes s'étaient écoulées depuis la bataille sur les hauts plateaux du Vent, trois lunes depuis la mort de son père, trois lunes d'entraînement intensif qui commençaient à payer.

La femelle n'était plus la même, que ce soit physiquement ou encore mentalement.
Elle se reconnaissait difficilement sur l'image que lui renvoyait les flots paisibles : de longues pattes fuselées, un corps aussi mince et élancé qu'une pointe de flèche, des traits aiguisés et pointus, des yeux immenses et de hautes oreilles droites.
Parfaitement imparfaite avec ses angles trop sévères, son museau aquilin, ses prunelles trop grandes et sa finesse extrême.
Sa fourrure, si noire qu'elle ferait pâlir d'effroi une nuit sans étoiles, s'était tout même étoffée et sa queue, élégamment courbée dansait dans le vent comme un serpent de fumée.

On pouvait lire dans sa posture fière une glaciale arrogance propre aux jeunes qui ont trop soufferts et pensent tout connaître de la vie alors que finalement... Qu'en connaissent-ils vraiment ?
Une armure de flegmatisme, d'agressivité contenue et d'orgueil dissimulait brillement les doutes, la peine et la peur.

La peur de quoi au juste ?

Nuage d'Obsidienne était mature, personne ne pouvait remettre cela en question, elle savait cerner autrui avec aisance et analyser une situation en quelques secondes. Elle pouvait prendre du recul, rester immobile des heures durant sans ressentir la lassitude de l'ennui et avoir un avis réfléchi sur chaque sujet, mais était-ce pour le mieux ? Son regard sur l'existence était déjà désabusé, son amour du beau était si esthète et poussé que peu de choses la faisaient frémir et les seules qualités qu'elle louait été le charisme, la persévérance et l'intelligence. L'espoir, le courage et la chance n'existaient que pour rassurer les guerriers sans avenir, trop lâches pour avoir des projets de grandeur.

Voilà comment ces trois dernières lunes l'avaient façonnée. Alors évidemment cette assurance provocante n'était pas sans raison, Nuage d'Obsidienne était plus que douée.
Forgée à l'image des grands guerriers de sa lignée: Ciel Infernal, Étoile Écarlate, Silhouette-des-Ombres ou même Chant du Corbeau, et soigneusement modelée par les griffes expertes de Langue de Vipère. La novice devenait jour après jour une arme affutée et embellie pour être la terreur du gibier et la frayeur des champs de bataille. Le moindre de ses gestes étaient un mélange d'instinct explosif et d'intense réflexion, ses paroles étaient coupantes et les deux ficelles qui retenaient cette illusion de solidité étaient l'ambition et la vengeance.
Nuage d'Obsidienne cajolait sa haine endormie, la nourrissait, la faisait doucement croître en refusant obstinément de passer à autre chose. Elle dormait peu, une grande partie de ses nuits était utilisée pour s'entraîner d'arrache-pattes avec son mentor ou à ressasser. La féline de jais n'oubliait jamais et se souvenait de tout: les douleurs et la traîtrise, l'abandon et la cruauté...

Il n'y a rien de pire que de ressasser sans cesse.

« Alors on admire son reflet ? », lui lança une voix inconnue.

La jeune chatte releva le museau de ses contemplations et toisa son interlocuteur avec dédain. Posté de l'autre côté de la rivière, assis sur la berge sableuse, un jeune mâle écru très légèrement tigré de gris aux beaux yeux bleu roi la regardait avec intérêt.

« Et toi, tu n'as rien de mieux à faire que de m'admirer ? répliqua-t-elle farouchement.

- Je chasse figure-toi, je viens d'être nommé guerrier ce matin !

- Ravie de voir que le clan de la Rivière est assez désespéré pour baptiser des chats aussi incompétents.

- Ravi de voir que le clan de l'Ombre est toujours aussi aimable !

LGDC ~ Une Dangereuse Sérénade ~  I. RancœurWhere stories live. Discover now