Chapitre 8

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C'était bizarre. Il n'avait plus sa place ici. Ce n'était plus sa famille, il n'était qu'un étranger, une simple vision du passé. Il n'avait plus sa place ici, il le savait, mais revoir sa sœur lui avait donné à nouveau l'impression d'avoir treize ans.

A l'époque, il venait d'être testé et jugé fertile. On lui avait déjà désigné un homme avec qui avoir un enfant, puis un autre, puis encore un autre, autant de fois que possible. Pourtant, Alix était fermement opposé à cette idée. Il ne voulait pas. Alors il avait fait exploser une bombe dans la pièce à vivre en annonçant à ses parents qu'il allait partir chez les Chiens.

Il se souvenait de son père hurlant qu'il était fou, qu'il avait perdu la raison, de sa mère qui pleurait. Il se souvenait des plus jeunes qui se pressaient à l'encadrement de la porte pour entendre ce qu'il se passait. Il se souvenait des regards estomaqués mais non moins désapprobateurs de ses aînés habitant encore avec eux mais plus vivement que tout, il se rappelait le regard de détresse qu'Anna avait posé sur lui. De son visage brisé par la trahison. De sa voix cassée lorsqu'elle lui demanda s'il était sérieux.

Il l'était, et il était parti de la maison quelques jours après afin d'être accueilli dans la caste des Chiens. Il avait rencontré Léa durant l'année d'entraînement intensif, avait passé le test et était officiellement devenu un Chiot. Petit à petit sa famille biologique était devenue un lointain souvenir alors que sa famille de cœur prenait de plus en plus de place.

Mais jamais il n'avait pu totalement oublier Anna. Il n'avait utilisé que très peu de droit de visite pour retourner les voir. Sur les douze qu'il aurait pu user, il n'en avait pris que quatre. Celui-ci était son cinquième. Pourtant, malgré tout le ressentiment que sa sœur éprouvait à son égard, malgré tout ce dont elle l'accusait à chaque fois qu'ils se revoyaient, il sentait bien qu'il lui manquait tout autant.

Lorsque sa mère s'était réveillée, il était dans la salle commune avec les plus jeunes qui lui posaient des dizaines de questions. Elle s'était précipitée pour le serrer dans ses bras en pleurant. Alix, qui ne ressentait plus grand-chose pour cette femme mais qui ne la détestait pas non plus, s'était laissé faire sans faire de commentaires pendant qu'elle caressait ses cheveux. Néanmoins ils n'avaient pas grand-chose à se dire alors après l'avoir câliné, elle ne trouva rien à ajouter et lui sourit, partant cuisiner pour tout le monde.

Le repas se fit dans une ambiance étrange. Heureusement pour le Chien, son père n'était pas là – peut-être s'occupait-il de quelque chose dans la caste du mariage, il ne voulait pas le savoir. Il n'avait pas non plus voulu demander quand est-ce qu'il rentrerait. Il espérait juste ne pas le croiser. Voulant sauver les apparences et faire semblant de s'intéresser à ce qu'il se passait dans son ancienne maison, Alix essayait de faire la discussion.

« Au final maman, tu as eu combien de bébés au total ?

-Vingt-deux. J'ai perdu le vingt-troisième avant l'accouchement le mois dernier, et c'est pour ça que je pars en retraite.

-Je l'ignorais, désolé.

-Il ne faut pas l'être, ce sont des choses qui arrivent. J'ai servi le système avec tout mon corps, et je laisse derrière moi de magnifiques enfants qui continueront de le faire ! »

Ses frères et sœurs approuvèrent en cœur, et Alix s'efforça de sourire, laissant son regard dériver. Anna et lui avaient été les troisièmes et quatrièmes enfants de la famille, et ils étaient la seule paire de jumeaux encore à l'heure actuelle. Il se souvenait qu'on leur avait rappelé toute leur enfance que leur naissance était symbole de la fertilité de leur mère, fertilité qu'ils porteraient eux-mêmes. C'était peut-être pourquoi tout le monde avait été abasourdi d'apprendre qu'il refusait de porter un bébé.

PurpleOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz