Chapitre 12 partie 1 - Léo & Alex

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Dani a insisté pour qu'on aille à cette soirée à l'étang. Elle a décrété que maintenant que nous avions treize ans, nous devions faire des "trucs d'adultes". Je ne suis pas d'accord, mais elle tenait tellement à cette soirée que je n'ai pas eu le coeur à lui refuser.

Une partie des jeunes de la meute du Diamant Rouge se réunit à l'étang Mansuy pour boire et faire la fête. Mon amie a déjà trouvé son âme-soeur. Luce. Une partie de moi l'envie, tandis que l'autre refuse de l'imaginer. J'ai toujours dit que je refuserais ce lien si je le trouvais un jour. Il est synonyme de la disparition de ma louve. Et ce n'est pas quelque chose que je suis prête à lâcher. D'autant que si je dois être en couple un jour, je préférerai que ce soit par choix, plutôt qu'imposer par un lien.

Alors je reste à distance, observant les tigres d'un oeil mi-sceptique, mi-mauvais. La plupart d'entre eux n'ose pas m'approcher de toute façon, comme je suis la fille du couple alpha. Et ça m'arrange bien.

Les plus vieux ont dressé un feu de joie au bord de l'étang, et ont installé des gros rondins de bois tout autour. Certains y prennent déjà place, riant avec joie. L'odeur du chamallow grillé se mélange avec celle de l'alcool. Je ne sais pas pourquoi ils continuent de boire, alors que notre métabolisme ne nous permet pas d'en ressentir ses effets. Nous guérissons trop vite pour être bourré.

Les plus téméraires essayent de boire une très grande quantité d'alcool, à jeun, pour tester leur métabolisme. Ils finissent bien souvent la tête dans la cuvette, sans avoir ressenti quoi que ce soit si ce n'est la nausée. Il est difficile de droguer un tigre-garou. La plupart des molécules ne fonctionnent pas sur nous. Ce qui signifie que certaines fonctionnent.

Je frissonne d'effroi, rien à qu'à y penser. Certains loups de la meute - qui ont été banni par la suite - ont déjà drogué des tigresses et des louves pour abuser d'elles. C'est pour cette raison que je me sers toujours mes propres verres et que je n'accepte rien d'inconnu. Ma confiance est difficile à gagner.

Dani et Luce soupirent de joie à mes côtés. Elles me poussent doucement, m'enjoignant à les suivre au bord du feu.

La nuit commence à tomber, ce qui a pour effet de renforcer la lumière du feu. Il projette des ombres angoissantes sur les tigres déjà assis. Mais ils ne semblent pas s'en préoccuper. Ce n'est pas la soirée où se prendre la tête, visiblement. Le brouhaha est incessant. Les conversations fusent dans tous les sens. Les jeunes échangent des accolades, se poussent du bras et se chamaillent. Les plus fous d'entre eux plongent dans l'eau glacée de l'étang. Et c'est à cet instant que je l'ai vu.

Son corps à moitié nu, l'eau remontant jusqu'à la moitié de sa taille. Ses cheveux blonds collés contre son front, formant des traînées d'eau sur son visage. Ses lèvres charnues, humidifiées par son plongeon. La droiture de son nez, la hauteur de ses pommettes et son sourire en coin, espiègle. Son torse sur lequel dégouline l'eau, ainsi que sur les muscles qui commencent à se dessiner sous sa peau. Son regard noisette vrillé sur le mien. Il ne s'est pas détourné alors qu'une grande chaleur a commencé à envahir la moindre fibre de mon corps.

Bordel.

Je sais très bien ce qui est en train de se passer, et le refuse. Pourtant, je suis incapable de détourner mon regard du sien. Un lien invisible se forme tandis qu'il sort de l'eau. Le short de bain trempé, collé à ses jambes athlétiques, accompagne son mouvement. Je commence à le percevoir lorsque j'amorce une fuite.

C'est le seul tigre-garou qui ose soutenir mon regard. Je sens les battements de son coeur comme s'ils étaient les miens alors que le lien se renforce et se verrouille. C'est exactement comme on me l'a décrit, comme Dani me l'a raconté. Cette force invisible qui se forme lorsqu'on croise le regard de notre âme-soeur pour la première fois.

La démarche du garçon est féline lorsqu'il parvient jusqu'à moi. Ne trouvant pas la force de me détourner, je repousse sa main qui veut attraper ma taille.

N-non, balbutié-je, soudain à bout de souffle.

Ma louve s'efface tandis que ma tigresse m'ordonne de me jeter dans les bras de ce tigre. Ses sourcils se froncent et je sens son incompréhension, comme si elle était mienne. La chaleur devient oppressante alors que je lutte de toutes mes forces contre elle. Puis la peine vient se mêler à mes pensées.

Pas ma peine, sa peine. Il me dévisage comme si je l'avais giflé. Mon instinct me pousse à me jeter contre lui, à le rassurer et à le consoler. J'ai besoin de lui présenter mes excuses. Mes larmes affluent aux coins de mes yeux, tandis que je remarque - dans la confusion de mes sentiments - qu'il n'a pas bougé. Il n'a pas insisté, il n'a pas amorcé un nouveau mouvement dans ma direction. Mon poignet tient toujours le sien, fermement.

Pourquoi ? souffle-t-il.

Sa voix est cassée, brisée par la force de sa douleur qui me fait souffrir aussi. Mon sang se glace alors que le trou que j'ai formé dans son coeur en le repoussant devient mien. Le lien est en place. Je ressens ce qu'il ressent et bientôt, je serais capable de communiquer avec lui par la pensée. Mais je n'ai rien demandé de tout ça. Je n'ai jamais voulu trouver une âme-soeur. J'ai toujours trouvé ce concept très limite. On ne choisit pas son âme-soeur et ça me déplaît.

On peut refuser le lien.

Des larmes commencent à couler le long de mes joues. Son expression s'assombrit et cette fois, la douleur est remplacée par de la colère.

Pourquoi, Léonie ? insiste-t-il.

Il sait donc qui je suis. Mais je ne suis pas prête à m'ouvrir à lui, à accepter cette relation. Alors je l'attire brusquement contre moi en tirant son poignet. Il est légèrement déséquilibré, j'en profite pour enrouler un bras autour de son cou. Mes sanglots se renforcent quand il glisse ses bras autour de moi. La froideur de sa peau et la fraîcheur de l'eau ne parviennent pas à calmer les battements de mon coeur. Seule son odeur musquée me permet de me ressaisir, quand j'enfouie mon visage contre sa nuque.

Entendre les battements de son coeur, plutôt que de les ressentir m'aide à trouver un ancrage. Ma crispation s'efface, permettant au calme de reprendre ses droits. Sa chaleur, mes sentiments naissants et l'environnement festifs me permettent de me sentir plus en sécurité. L'enveloppe de ses bras a quelque chose de rassurant.

Laisse-moi du temps, murmuré-je contre sa peau, provoquant un frisson dans son corps.

Il ressert son étreinte, comme pour me signifier qu'il est d'accord, tandis que le lien achève de se mettre en place. Nous sommes maintenant liés, pour le meilleur ou pour le pire.

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14/05/2020 

Entre tigre et loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant