La vie que nous rêvons d'avoir

PARTIE 24

 A bout de souffle, j'arrive à atteindre le centre commercial. Je suis épuisé, et j'ai mal aux jambes. La pancarte qui affiche TOILETTES POUR FEMMES est mon échappatoire. Je me cogne aux femmes, et m'enferme dans l'une des cabines libres pour tenter de reprendre mon souffle.

Qu'est-ce que j'ai fait ? Maintenant que ma colère est retombée, je me dit que c'était stupide. Je n'aurai pas dû m'en prendre à Khais de cette manière. C'était ridicule, et spontané. Mais je ne pouvais pas le laisser parler de Zahid de cette manière. J'aime Zahid. Avec toute la force que j'ai dans mon corps, et jamais, au grand jamais, je ne laisserai quelqu'un douté de ses capacités. Il n'est pas un cas perdu. Il n'est pas rien. Zahid m'a sauvé la vie, et m'a tiré de cette obscurité dans laquelle j'étais en train de me noyer. Même s' il n'a pas prévu d'aller à l'université, ça ne veut pas dire qu'il est moyen que les autres. Il trouvera sa voix, quand le moment viendra. Et Khais ne peut pas dire le contraire, parce qu'il ne le connait pas, comme moi je le connais.

__ Zahid ?

ZAHID - Hey. J'suis rentré. T'es où ?

J'avale ma salive. Ma gorge est encore sèche.

ZAHID - Noor ?

Est-ce que je dois lui dire ? Comment est-ce qu'il réagirait ? Bizarrement, j'ai peur de ce qu'il va penser de moi.

__ Je suis au centre commercial. Est-ce que tu peux venir me chercher ... s'il te plaît ?

ZAHID - Ouais okay. J'arrive.

__ Merci.

Nous raccrochons, et je reste là, assise dans les toilettes, jusqu'à ce qu'il m'envoie un message pour m'informer qu'il est encore là. En me levant, je me rends alors compte que mon sac n'est pas là. J'ai dû le faire tomber en entrant dans le centre commercial, et je n'y ai pas prêté attention. En revenant sur mes pas, je le trouve nul part. Merde.Je l'ai sûrement laissé dans la voiture de Khais. Je me maudit, et sort rejoindre Zahid, guettant chaque mouvements au coin de mon œil. Et si Khais revenait ? Qu'est-ce qu'il pourrait bien me faire ? Personne ne voudrait qu'on l'agresse comme je l'ai fait. Est-ce qu'il est du genre à prendre sa revanche ? Putain ... J'espère que Zahid ne paiera pas les pots cassés ...

ZAHID - Ça va ?

Il glisse sa main le long de ma joue. Elle est froide.

__ Hein ?

ZAHID - J'te demande si ça va. Tu tires une de ses têtes.

Gentiment, il arrange une mèche de cheveux derrière mon oreille. Je force un sourire, et me penche vers lui pour l'embrasser.

__ Ça va. T'inquiète.

Il me sourit. J'aime quand il me sourit. C'est mieux que de le voir fermé comme hier soir. J'ai envie de le prendre dans mes bras, et de poser ma tête sur son épaule, mais il fait déjà marche arrière sur le parking.

ZAHID - Tu t'es pas perdu en venant ?

__ Nan

ZAHID - Même pas une seule fois ?

Il glousse.

__ Nan

ZAHID - Impressionnant

__ En temps normal j'suis du genre à me perdre ?

Il secoue la tête. Il est très beau aujourd'hui. Il s'est ébouriffé les cheveux plusieurs fois à suivre, car ils sont décoiffés. Ça lui donne un petit air ... j'en sais rien. Décontracté, et sexy. Je me mordille les lèvres nerveusement, et c'est à ce moment qu'il me regarde. Je rougis, et arrête.

ZAHID, sourit - Non. J'le sais. Mais ça m'impressionne parce que c'est une nouvelle ville. On est arrivé hier, et tu part déjà à l'aventure.

Je glousse. Si je lui dis pour Khais, ça va jeter un froid. Il a l'air heureux d'être avec moi. Je ne peux rien dire. Pas maintenant.

ZAHID - Tu m'impressionne, c'est tout.

__ Et toi alors ? Tu t'es perdu en partant ce matin ?

Il secoue doucement la tête.

ZAHID - Tu m'as cherché ?

__ Oui.

ZAHID - Je t'ai manqué ?

Je rougis.

__ Nan. Tu me manque jamais.

ZAHID- Oulala la menteuse ...

__ T'étais où ?

Il prend du temps à répondre à ma question. Est-ce que j'ai jeté un froid sur l'ambiance ?

ZAHID - J'suis allé chercher du boulot.

Je me redresse dans le siège, les yeux grand ouverts.

__ Vraiment ?

ZAHID - Ouais. Un pote à moi m'a dit d'aller voir au port. Près des conteneurs. Ils embauchent souvent des tipeu d'mon âge. Et askip ça paie bien.

__ Le boulot consiste à quoi ?

ZAHID - À décharger les containers. A tout mettre dans un camion, puis à livrer la marchandise aux particuliers .

__ Particuliers du genre ?

ZAHID, hausse les épaules - Genre restos j'crois.

Je lui souris.

__ Et du coups ? Ils t'ont pris ?

ZAHID - J'suis allé donner mon nom. Le patron m'a dit qu'il m'appellera lorsqu'il aura besoin de moi.

__ Il t'appellera.

ZAHID - J'en doute.

__ Bien sûr qu'il t'appellera. Ne sois pas pessimiste.

Nous sommes à un feu rouge. Zahid soupire, puis se détend, en s'enfonçant au fond de son siège. Il tourne la tête vers moi, m'observe, puis me prend la main, avant de la caresser avec son pouce.

ZAHID - Ça craint que j'sois là à courir après un boulot, alors que tout le monde va à l'université.

__ Pas du tout. T'es pas obligé de faire comme tout le monde, si c'est pas ce que tu veux.

ZAHID - Le problème c'est que j'sais pas ce que je veux.

Il baisse les yeux vers nos mains, et une ombre passe sur son visage.

ZAHID - J'ai l'impression d'avoir ma place nulle part.

Je revois Khais dire la même chose, avec son air malicieux, et mesquin.

__ Ne dit pas ça. C'est normal que les choses soient difficiles au début. Mais ça va vite s'arranger, tu verra. Et puis, t'a ton héritage, tu te souviens ? T'as pas besoin de boulot, pour l'instant.

ZAHID - Et quand j'aurai dilapidé tout l'fric de Ahmed ? Qu'est-ce qui nous arrivera ?

Je pince les lèvres, pressant sa main chaude dans la mienne.

ZAHID - J'ai envie qu'on ait une bonne vie, toi et moi. J't'ai pas emmené ici pour te faire vivre comme un rat.

Même si la conversation est sérieuse, je ne peux m'empêcher de pouffer de rire. Ça le fait sourire.

__ Tu sais quoi ? Au fond, ça ne me dérange pas vraiment. L'essentiel c'est qu'on soit ensemble.

Alors que je me penche pour l'embrasser, une voiture klaxon derrière, nous ramenant à la réalité. Zahid se redresse.

ZAHID - Putain d'merde ! Le feu est vert !

Je ne lui parlerais pas de Khais. Il a assez le cafard comme ça, je crois. 

... à suivre ...