Chapitre 36

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La nuit est tombée, la place s'est vidée, mais Cameron n'a toujours pas bougé.
Les yeux maintenant bouffis et injectés de sang, il a perdu tout repère ou notion du monde qui l'entoure. Il ne sait plus s'il a passé des heures, des jours ou des semaines sur cette place, il ne sent plus les cordes qui lui lacèrent la peau, il n'entend plus les bruits des humains qui démontent la scène un peu plus loin. Tout ce qui est possiblement matériel autour de lui est flou, comme couvert de brouillard, et la réalité n'est bientôt plus qu'un rêve lointain qu'il tente de se remémorer.

La douleur lancinante n'a pas quitté son cœur, et elle semble le déchirer lentement, de plus en plus profondément, réouvrant des plaies et en créant d'autres. Elle est si puissante qu'il a presque l'impression de la sentir bouger en lui, traversant chaque membre, chaque fibre, chaque atome de lui-même. Elle est si forte qu'il peut presque la toucher, mais sans jamais la localiser, parce qu'elle est partout et nul part à la fois. Il n'ose même pas fermer les yeux pour tenter de se calmer, parce que le visage d'Alyah sera la seule chose qu'il verra et qu'il n'est pas prêt à y faire face. Pas encore.
Son regard vide est fixe, immobile, à la manière de celui d'une poupée de cire, et il n'esquisse plus aucun geste. Un léger mouvement de son torse qui indique une faible respiration forcée est la seule preuve qu'il est toujours en vie, respiration qu'il aimerait arrêter tant elle le fait suffoquer.

Un humain s'approche de lui avec hésitation, et après quelques instants de difficulté, il réussit à dénouer les liens qui le retenaient à cette poutre en bois. Son corps heurte le sol dans un bruit sourd, mais il est comme anesthésié de toute douleur extérieure. Épuisé mentalement et physiquement, il ne fait pas attention à la brûlure qu'il ressent là où sa peau a été déchirée par les coups de fouets. Ses muscles sont si faibles qu'il lui semble impossible de bouger d'un seul centimètre.

Il ne reste plus rien du Cameron fier et fort parce que la perte de celle qu'il aime a été la perte d'une source de bonheur irremplaçable. Il regrette chaque heure, chaque minute, chaque seconde passée avec elle sans qu'il ne lui dise qu'elle a une place immense dans son cœur.

La seule chose qui s'anime est sa mémoire qui rejoue en boucle la mort d'Alyah, et l'instant où les mots qu'il avait tant attendu ont traversé ses lèvres. Celui qui a imaginé le moments où il pourrait lui avouer ses sentiments des milliers de fois ne peut maintenant que se mordre la lèvre en priant n'importe qui de la ramener à la vie et de lui permettre de l'enlacer une dernière fois.

Sa vue se brouille soudainement, le surprenant légèrement, et un petit rire amer s'échappe de sa gorge nouée. Il est si certain de s'être vidé de ses larmes que pleurer maintenant pourrait sembler complètement impossible.

C'est pourtant ce qui arrive quand les traits de son visages se tordent, qu'un pli de forme sur son front et qu'un sanglot déchirant résonne dans l'obscurité de la nuit. Il lui tranche les cordes vocales, lui broie les poumons et lui donne mal à la tête, mais il est malheureusement suivit d'une série de pleurs et de plaintes qui sont plus difficiles à supporter au fur et à mesure. Son corps est maintenant secoué de spasmes, ses joues sont trempées et il arrive à peine à garder les yeux ouverts.

Les humains ne sont plus là, la scene non plus. Il n'y a plus aucune preuve de l'assassinat qui a eu lieu devant lui. Il se redresse péniblement et réussit à se mettre sur pieds, les jambes flageolantes. Très lentement, il s'avance, peinant à trouver son équilibre. Au fur et à mesure qu'il s'approche, ses sanglots se font de plus en plus forts et puissants.

Il tombe à genoux, et ses yeux se posent sur un objet qui semble avoir été oublié. Ses doigts s'enroulent faiblement autour du bout de tissu blanc et taché, l'apportant à son nez. Dans un moment de calme qu'il se force à s'infliger, il inspire, malgré sa respiration saccadée, et une nouvelle plainte brise le calme de la nuit quand il reconnait son odeur.

ALCARIA ACADEMYWhere stories live. Discover now