Chapitre 41

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Loïs a toujours été attiré par les grandes étendues, par le vide. Un œil dans l'immensité, il a l'impression qu'il pourrait s'y laisser tomber indéfiniment. Définitivement. Le vent l'entoure de ses bras invisibles. Il ferme les yeux, il a l'impression d'être une minuscule poussière. Prêt à être emporté dans une rafale, il attend la bourrasque qui aura raison de lui. Mais rien ne vient. Le vide continue s'ancrer dans ses yeux. Il ne tombe pas et continue de vivre cette adrénaline dans l'idée que tout pourrait bien basculer.

Puis au bout d'un moment, il perd la notion du temps. Il a l'impression d'avoir toujours été installé au milieu des hautes herbes et de ses amis. Il a l'impression d'être né pour occuper cette place au milieu d'une plaine de montagne. Il a tant envie de rester planté là, à jamais. Comme s'il était un brin d'herbe parmi tant d'autres. Un brin d'herbe qui a pour seule existence de danser au gré de l'onde et de l'air. Pas de questionnement, pas de douleur, juste la sensation d'être à sa place dans l'incroyable ensemble que forme le monde.

Mais il n'est pas cette feuille de chlorophylle. Un foulard lui obstrue la vue alors qu'il s'y attend le moins.

« Eh ! Mais qu'est-ce que vous faites ? »

Il n'a le droit que pour unique réponse, les rires énigmatiques de ses compagnons.

À tâtons, il avance, entraîné malgré lui dans une escapade aveugle. Une sensation de déjà vu s'assaille. Il sent la terre et les cailloux sous ses semelles. Il a peur de trébucher, mais étonnamment, ses pieds ne rencontrent aucun obstacle. Il fend l'air vers une direction encore inconnue.

Loïs n'aime pas les surprises. Il commence à angoisser dans le noir.

« On arrive bientôt ?

– Oui, t'inquiète pas, petit curieux ! Attention à la marche. »

Ils ralentissent et le font grimper dans un véhicule. Loïs sent le tissu de la banquette sous ses doigts. Le moteur tourne dans le vide dans des fragrances de gasoil. Quelqu'un s'est installé à côté de lui.

« Ça va, Loïs ?

– À part que je sais pas où l'on m'emmène. Encore... », grommelle-t-il pour cacher son anxiété.

Plus que d'être balloté il ne sait où, la pénombre commence à se faire pesante. Il n'aime pas être privé de ses sens. Ses doigts rencontrent un fil sur un de ses vêtements. Nerveusement, il commence à tirer et à enrouler et à dérouler le pauvre serpentin de coton. Puis, une main se pose sur la sienne, apaisante.

Ana ne dit rien à côté de lui. Les dessins que son pouce effectue sur le dos de sa main ne représentent rien. Pourtant, ils veulent tout dire.

Je suis là.

Je serais là.

Au bout d'un certain temps, il retourne sa main. Il sent contre sa paume, celle d'Ana. Puis, comme un engagement, il selle sa main avec la sienne. Une fraction de seconde, elle se tend à côté de lui. Mais, presque instantanément, elle affirme le contact, s'accroche à ce lien entre leurs deux âmes. Comme une seule personne. Loïs sent couler dans ses veines une vitalité nouvelle, comme si par cette liaison, elle lui envoyait mille pensées positives. Peut-être n'est-ce que son imagination. Il s'était promis de ne pas la laisser se rapprocher davantage de son poison. Cependant, il se trouve incapable à esquisser le moindre mouvement qui pourrait briser leur lien. Il sait qu'il ne devrait pas continuer à étendre les dégâts de sa tempête. Personne ne mérite de subir le naufrage dans lequel il s'est engagé contre son gré.

Dans une secousse, le véhicule s'arrête. Un peu remué, il profite de ce regain de lucidité pour lâcher la main d'Ana et de réduire tout contact entre eux. Elle ne dit rien, à la place, la portière s'ouvre dans un bruit sourd et Loïs est accompagné à l'extérieur. Les bourrasques sifflent dans ses oreilles. Le vent est puissant ici.

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant