Chapitre 4

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Éridan lève la tête vers sa mère. Elle lui sourit puis commence à se débarrasser de ses bottines, faisant tinter à chaque mouvement les clés dans la main.

« J'ai ramené des pizzas. Tu restes manger avec nous, Loïs ? demande-t-elle.

— Il est si tard que ça ? Il faut que j'appelle mes parents, ils vont s'inquiéter !

— Demande-leur si tu peux rester pour la nuit. »

Loïs sourit et acquiesce avant de sortir précipitamment du salon pour rejoindre le couloir. Le calme revenu, Éridan et sa mère laissent planer un silence. Finalement, c'est cette dernière qui décide d'éclater la bulle.

« La journée s'est bien passé, mon cœur ?

— Ça pourrait aller mieux, soupire Éridan. Et toi ? »

Jane le dévisage. Il sait qu'elle lit en lui comme dans un livre ouvert, surtout quand il ne peut contrôler les tremblements de sa voix et sent sa lèvre meurtrie de l'avoir trop mordue. Elle semble hésiter un instant mais se résigne. Comme toujours, elle lui laissera choisir le moment où il sera prêt à parler.

« Plutôt fatigante, ton père est encore au restaurant. Il était censé laisser les clés à Jimmy, mais il y a plus de clients que prévu pour un lundi soir. Ton père et le sens du devoir, on ne le changera pas », rit-elle.

Éridan sourit, il lui est reconnaissant de n'avoir rien demandé de plus.

En l'observant, il voit qu'elle a l'air épuisée. Ses longs cheveux bruns sont rassemblés dans un éternel chignon lâche. Ses yeux verts malgré leur lueur habituelle paraissent lourds. En déviant son regard vers la fenêtre, il y croise son reflet. Sa ressemblance avec elle est frappante. Ses yeux légèrement en amande et de cette même couleur hypnotique, ses lèvres pleines, son visage fin, tout semble venir d'elle. Du moins, alors qu'elle arbore une chevelure volumineuse, lui, se caractérise par des cheveux lisses et noir d'encre. Ceux de son père, qu'il imagine sans mal mélangés à la farine après une longue journée.

Il n'est pas rare de voir rentrer ses parents tardivement et écroulés de fatigue. Ils ont monté leur pizzeria il y a déjà quelques années et depuis ne s'arrêtent plus de faire augmenter sa popularité. Drogués par le travail, pour eux, le bonheur des clients lorsqu'ils dégustent leurs parts de pizza vaut de l'or. Éridan envie leur passion, mais parfois, il se demande s'ils n'essaient pas seulement de s'oublier.

Puis en regardant sa mère, pleine de vie et toujours présente pour lui remonter le moral, il se dit que c'est lui qui aimerait oublier.

Pensée futile emportée par la voix rieuse de sa protectrice.

Sa présence seule lui embaume le cœur. Chacune de ses plaisanteries le fait glousser. Il se sent apaisé dans le cocon chaleureux qu'elle tisse autour d'eux.

En apercevant Loïs entrer dans le salon, Éridan ne peut s'empêcher de chercher son regard. Alors que leurs yeux se lient, un sourire entendu se dessine sur leurs lèvres. D'un accord silencieux, ils s'autorisent à oublier, le temps d'une soirée, la fatalité. Ils se permettent de rire sans retenue, sans penser au lendemain. Comme si plus rien ne pouvait les atteindre. Comme s'ils étaient invincibles. Comme si la vie n'était qu'une plaisanterie.

Une joie éphémère car cette nuit-là, aucun des deux adolescents ne parvient à trouver le sommeil.

La soirée chaleureuse s'estompe déjà de leur cœur. Les rires aussi.

« La nuit va être longue », pense Éridan, ne voyant pas le marchand de sable passer.

Les yeux grands ouverts dans le noir, il regarde le ciel par son velux. Rien ne brille dans cette nuit de velours. Les étoiles et la lune se sont cachées. Aucun marin ne pourrait se repérer dans cette immense mer sans vague, sans poisson et sans eau. Éridan aussi est perdu. Quel est son rôle dans cette histoire ? Qui le destin lui a encore demandé d'interpréter ? Il soupire. Ses yeux sondent l'infini qui se dessine derrière sa fenêtre. Non, cette fois-ci, il ne sera pas qu'un simple figurant. Il sera acteur de cette pièce qu'on lui demande de jouer. Il ne refera pas les mêmes erreurs, s'en fait la promesse.

« Tu comptes en parler aux autres ? demande-t-il dans la pénombre de la chambre.

— Je ne sais pas...

— Tu peux me faire confiance, tu le sais.

— Je le sais... » murmure Loïs, pensif.

Puis le silence s'étire dans la nuit noire. Le temps semble s'être suspendu. Rien ne bouge, rien ne bruit. Seules les pensées de Loïs s'agitent.

Au fond de lui, il est conscient qu'il ne dira rien. Son secret lui appartient. Il craint le regard des autres. Et il connait le risque qu'il prendrait en divulguant sa faiblesse. La pitié, la douleur de ceux qui vont rester, cette retenue qu'ils finissent tous par avoir quand ils le voient. Moins il y a de concernés et moins ce mauvais rêve semble réel. Il l'espère mais sait que rien n'est éternel, qu'au bout du compte, seule la vérité reste.

« Juste encore un peu. »

Si quelqu'un peut l'entendre. S'il existe vraiment un être supérieur qui tient du bout des doigts le fil de sa vie, c'est ce qu'il aimerait lui dire : « Juste encore un peu. »

En fermant les yeux, il se sent atrocement seul. Sa famille, ses amis, personne ne le comprend vraiment. Malgré toutes les belles paroles, c'est un combat qu'il va devoir mener seul.

Un combat seul contre lui-même.

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant