Chapitre 42

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Jonathan, le moniteur de vol, lui explique une dernière fois le déroulement. Loïs l'écoute à demi, il ne tient plus en place. Le temps est bon pour le vol, il entend entre deux mots. En effet, ses cheveux s'agitent et tournoient comme des flammes. À deux pas de lui, la rampe de bois descend dans la pente abrupte. Il regarde, sur une plateforme adjacente, un parapente s'envoler. Il a hâte de partir dans les airs à son tour.

Il s'équipe de harnais, sous les directives du voltigeur professionnel. Au loin, il voit ses amis le photographier et lui faire de grands gestes quand il se tourne vers eux. Il leur rend leurs gestes et leurs sourires.

Puis les ailes du deltaplane sont déployées sur le sol tandis qu'on accroche son harnais. Le début de la plateforme sous ses orteils, il commence à s'inquiéter. Mais avant que le doute ne s'installe vraiment, la voix enjouée de Jonathan le sort de ses pensées.

« Comme je te l'ai dit, on va courir jusqu'au bout des planches, même à la verticale. Tu continues de marcher jusqu'à que je te dise d'arrêter. Prêt ? »

Loïs n'a pas le temps de répondre. Il se fait entraîner dans la course. Ses pas résonnent contre le bois, le deltaplane bat de l'aile au-dessus de sa tête. Puis, d'un coup, le plan s'incline et il se retrouve à courir presque sur un sol vertical. Ses jambes le propulsent toujours plus vite, entraînées par la vitesse. Il serre la barre de métal devant lui de toutes ses forces pour retenir un cri. Il a l'impression que la falaise en bas se rapproche trop vite. Puis, alors qu'il commence à imaginer le pire, la pesanteur le libère de son poids et ses pieds n'ont plus d'emprise sur rien.

« C'est parfait ! » lance le moniteur.

Loïs n'écoute plus. Les jambes rangées dans la sorte de poche prévue à cet effet, il a l'impression d'être allongé sur le ventre. Devant ses yeux, les sapins s'étalent. Emportés par les colonnes et les bourrasques d'air, ils s'élèvent dans le ciel. Ils longent la falaise et les roches grises et érodées. Les racines des grands arbres émergent parfois d'une fissure. Puis, dans un mouvement franc, le deltaplane vire de bord et se laisse porter vers les hautes altitudes. Le regard de Loïs se détache des pics saillants. Les reflets du ciel lui parviennent quand son regard se perd sur le lac azur qu'il domine de sa hauteur. Sur la surface, des petites embarcations, peut-être des canoës, glissent sur l'eau. Ils sont si petits, ils semblent aussi fragiles que des jouets. Il s'imagine que seulement un de ses souffles suffirait pour que les vagues les fassent sombrer.

Il rêve ou vit un rêve. Il ne sait plus.

Son cœur bat si fort dans sa poitrine. Jamais il n'avait envisagé pouvoir regarder le monde sous cet angle. Comme un oiseau en plein vol. Les consignes lui interdisent de lâcher la barre de métal qui le lie au deltaplane, toutefois, il voudrait tant pouvoir tendre ses bras dans le vide. Avoir l'impression que des plumes lui courent la peau et le font planer. Il aimerait tant ressentir cette liberté de voler sans dépendre de rien.

Il ferme les yeux un instant. Et imagine être libre dans l'air qui agite ses cheveux et ses vêtements. Presque clairement, il voit l'infinité du bleu et les coussins de nuages aussi blancs et propres que la neige fraîche. Il sent aussi le soleil lui brûler les yeux de sa sublime lumière. Il est tellement énorme et majestueux dans ce théâtre astral que Loïs a l'impression que ses doigts pourraient l'atteindre s'il tendait le bras vers lui. Il se voit voltiger au milieu de cette pureté, de ce ciel nu des vices de l'Homme. Les oiseaux voyagent avec lui et l'accompagnent comme des compagnons de route habitués. Il ne s'arrête pas de tournoyer, qu'il fait bon de ne sentir que le vent sur sa peau.

Puis, il est sorti de ses rêveries.

« On va emprunter une colonne d'air, ça va secouer un peu. »

Jusqu'à s'envolerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant