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J'ouvre lentement les yeux. Encore dans cet hôpital. Parfois, je m'imagine que tout n'était qu'un rêve et que je me réveillerai un jour dans mon lit, chez moi à New York. Mais non.

Je me lève de mon lit en jetant un oeil dehors par la fenêtre de ma chambre. Les rues sinueuses de San Francisco commencent à s'animer en ce début de journée. Les bruits de la circulation brisent le silence, me sortant de ma torpeur éternelle l'espace de quelques instants. Il y a six mois, j'ai été déplacée dans cet hôpital à des milliers de kilomètres de chez moi car un ami à mes parents y travaillait. Et j'en ai été plus qu'heureuse. Tout ce qui pouvait m'éloigner de mon ancienne ville était bon à prendre.

En allant dans la salle de bains, je fixe le miroir et soupire. A chaque fois que je me regarde, je ne vois que le reflet de mon vide intérieur dans mes yeux verts. Mes cheveux châtains, autrefois éclatants, semblent eux aussi témoigner de mon état émotionnel.

Quelques minutes plus tard, je suis habillée et ouvre la porte à une infirmière. Chaque chose se répète chaque jour, depuis des mois. C'est Miranda. La seule infirmière que j'accepte de voir, car la seule qui ne me presse pas pour que je parle.

— Bonjour, Angie.

Elle pose un regard chaud et compatissant sur moi et s'assied sur mon lit. Elle n'a pas l'expression qu'elle affiche habituellement, semblant plus crispée. Aujourd'hui, elle ne vient pas pour la courtoisie.

— Salut, réponds-je. Qu'est-ce que tu dois m'annoncer ?

Elle reste silencieuse un instant, avant de se lancer, l'air pensif.

— Angie, tu sais que ça fait maintenant six mois que tu es là, Et... étant donné que tu es à présent rétablie... il va être temps pour toi de t'ouvrir au monde, et de faire face à la vie.

Je me contente de la regarder, muette. Je ne m'attendais pas à ça.

— Je dois quitter l'hôpital, saisis-je sans laisser transparaître l'émotion qui perçait dans ma poitrine.

Elle se racle la gorge, baissant légèrement la tête.

— Oui, c'est ça, finit-elle par déclarer. Ça va sûrement être compliqué au début, mais c'est mieux pour toi et ton développement personnel de ne pas rester ici. Ne t'inquiète pas pour les journalistes, tu changeras de nom, et de vie. À partir de maintenant, tu n'es plus Angie Hopkins, de New-York, mais Malia Fields, originaire de San Francisco, et tes parents sont partis vivre à Paris pour raisons professionnelles. Tu disposeras d'un compte à ton nouveau nom et d'un appartement à Miami. Tu entreras dans un lycée là bas. Évite de te faire remarquer pour le moment, je sais que tu ne veux pas parler à la presse, alors laisse les choses se tasser. Et ne dis à personne qui tu es, c'est un risque que tu ne devrais pas prendre pour le moment.

J'acquiesce sans ouvrir la bouche, me contentant d'écouter, le coeur battant. À cause du fait que mes parents étaient deux personnes assez célèbres, les journalistes voudront forcément en savoir plus sur leur mort. Ils viennent chaque jour guetter ma sortie pour se jeter sur moi comme des vautours.

Miranda me lance un regard triste puis me serre dans ses bras. Elle me glisse un : « Sois prête dans deux heures. » avant de sortir de la pièce.

Je reste un moment immobile, puis commence à faire ma valise. Il ne me reste rien de mon ancienne vie si ce n'est mes habits. J'ai tout abandonné, tout laissé à une existence qui a cessé dans mon coeur.

Une heure plus tard, c'est sans regarder en arrière que je sors de ma chambre. Je traverse le long couloir vide et froid la tête baissée, comme la première fois, et descends lentement les escaliers. Une voiture noire aux vitres teintées est garée devant l'établissement, et, par chance, aucun journaliste à l'horizon. Je ne suis jamais apparue dans les journaux grâce à la protection avisée de mes parents, mais je sais qu'ils me reconnaîtraient tout de suite, à cause de la ressemblance frappante avec ma mère.

Miranda m'accompagne dehors et met ma valise dans le coffre de la voiture. Je m'installe à l'intérieur puis fais un simple signe d'au revoir à l'infirmière. Je n'aime pas montrer mes sentiments, alors même si ça me rend triste, je ne le dis pas. C'est d'ailleurs pour cette raison que je semble si remise de l'accident. Je prétends avoir compris, avoir fait mon deuil. C'est faux. Je souffre, affreusement. Je suis détruite, totalement vide de l'intérieur. Mais ça, personne ne le sait, personne ne le voit. Je ne pleure pas, plus depuis l'accident. C'est comme si au fond de moi, un cadenas s'était imposé sur mes émotions, avait enfermé tout ce qui me restait de ma vie, tout ce qui me restait de mon humanité. En survivant, je me suis condamnée au néant.

Les vitres se referment sur le maigre sourire de Miranda. Le chauffeur ne m'adresse pas la parole durant le trajet. Je passe environ une heure et demie à regarder dehors, observant le paysage défiler devant mes yeux, puis nous arrivons enfin à l'aéroport.

Il ne faut que quelques minutes au chauffeur pour qu'il sorte ma valise du coffre et me lance un : « Bonne route » avant de remonter dans la voiture, me laissant seule. Le vent vient alors me caresser le visage et fait voler mes cheveux. Je marche en direction de la salle d'embarquement, et attends environ trente minutes avant que mon vol ne soit annoncé. Je fais donc tout le nécessaire et arrive enfin dans l'avion. Je m'installe dans mon siège, et regarde en face de moi, en tremblant légèrement. Je hais les avions. Je hais vraiment ça. Quand j'entends que l'avion va décoller, je mets vite un chewing-gum dans ma bouche - on m'a toujours dit de faire ça.

Et quand nous quittons définitivement la terre, j'agrippe les accoudoirs de mes mains moites en serrant les paupières.

Quand l'avion se stabilise et que je rouvre les yeux, une ombre est au dessus de moi. Un jeune homme est penché au dessus des sièges pour prendre ses affaires. C'est un garçon qui doit avoir mon âge, enfin je pense. En effet, je ne peux voir que la partie inférieure de son visage. De plus, je n'ai donné qu'un coup d'œil furtif, avant de baisser les yeux.

Je l'entends faire tomber quelque chose, et il marmonne un « Merde » avant de se baisser. Je me recroqueville rapidement en sentant passer sa main près de mes pieds.

— Désolé, j'ai fait tomber un bouchon d'oreille.

Je me moque intérieurement en me penchant pour récupérer ledit objet ridicule. Je ne daigne pas lui accorder un regard en posant son bouchon dans sa main froide.

— Merci, fait-il.

Je ne réponds pas et tourne ma tête vers le hublot à côté de moi. Ce n'est pas par impolitesse, mais je me suis rendue compte que je n'ai plus l'habitude ni même l'envie de parler à qui que ce soit à présent. La faute à cet isolement et au fait que je n'ai été en contact qu'avec des infirmières et d'autres pensionnaires de l'hôpital pendant six mois.

Je vois le garçon partir du coin de l'oeil, et l'observe discrètement s'éloigner en mettant mes écouteurs dans mes oreilles.

Dehors, je peux voir que nous commençons à gagner en altitude. C'est magnifique. Des nuages rosés et des rayons de soleil éclatants perçant le paysage.

Sans quitter ce spectacle apaisant, je finis par m'assoupir.

Je suis réveillée en sursaut par l'annonce de l'atterrissage. Je m'empresse de ranger mes affaires sorties, et attends. Ça va, j'ai moins peur.

On atterrit et je descends en courant presque.

Je reste debout, immobile. Je prends une grande inspiration en fermant les yeux.

Me voilà à Miami.

Adieu mon ancienne vie.

Adieu Angie.

J'ai dix-sept ans, je m'appelle Malia Fields, et aujourd'hui, je commence une nouvelle vie.

AliveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant