TRENTE-TROIS

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Immobiles, séparés par la nuit, Tyler et moi nous fixons. Et à quelques centimètres de moi, il me paraît pourtant plus inaccessible qu'il ne l'a jamais été.

Nous ne nous touchons plus, mais nos yeux ne parviennent pas à se détacher. Nous sommes comme suspendus dans le temps, incapables de faire un geste.

— C'est injuste, souffle soudainement Tyler.

Ma respiration se bloque. Je le considère en silence, le cœur en feu. Puis, ne pouvant plus soutenir son regard brûlant, je serre les paupières. Fort, si fort que je pense ne plus jamais les rouvrir.

Et finalement, je le sens s'éloigner de moi. Je l'imagine se tenir face à moi, droit et tremblant. Je l'imagine me regarder comme j'aurais aimé qu'il ne me regarde jamais, et affaisser les épaules avec épuisement.

Oui, c'est injuste. C'est injuste que notre histoire nous échappe à cause d'un mensonge, que le destin ne veuille pas de nous. C'est injuste que je l'aime dans le vide, qu'il m'ait fait confiance pour rien. C'est injuste que tout disparaisse. Que tous les mots que nous avons échangés, tous les regards que nous avons partagés, tous ces moments où nous oubliions notre souffrance, s'effacent comme s'ils n'avaient jamais existé.

Même s'il me pardonnait, même si je me pardonnais, rien ne serait plus jamais pareil. Le précieux et fragile lien qui nous unissait s'est brisé et ne se réparera pas. Mais c'est pour le mieux, non ? Au moins je ne mens plus. Au moins il ne souffrira plus par ma faute.

Quand je rouvre les yeux, il n'est plus là. Je me retrouve face au vide, face à la nuit silencieuse et pesante. Ma poitrine s'abaisse douloureusement, mais les larmes ne coulent pas. Je respire lentement, profondément, immobile. Les minutes s'écoulent et je lève les yeux vers le ciel aux nuages bas. On ne voit pas les étoiles, ce soir.

En sentant les premières gouttes de pluie gelée tomber sur mon visage, je ne bouge pas. Étrangement, l'averse qui s'effondre bientôt sur moi m'apaise plus qu'autre chose, son vacarme envahissant mon crâne et sa froideur enveloppant mon corps. Je perds la notion du temps, appréciant le contact étrange de la pluie.

Après un long moment, je traîne les pieds pour m'approcher de l'entrée et sortie principale de la boite de nuit, observant les groupes de gens se presser sous la pluie, rejoignant leurs amis et leurs taxis. Au bout de quelques instants, je ne suis pas surprise de voir sortir mes acolytes, réunis et vite trempés.

Je m'arrête pour les regarder de loin sans être remarquée. Et, étrangement, je souris. Un sourire triste, certainement, mais sincère. Je crois que j'ai pris conscience de mon abandon. Et ça doit me soulager, au fond.

— Malia ?! crie Hailey en m'apercevant. Bon sang, t'es là ! Viens, dépêche toi !

Un spasme me sort de ma torpeur et je retrouve un semblant de contenance en me précipitant vers eux. Tyler n'est pas là, sans grande surprise. Hailey m'attrape par l'épaule et m'attire sous son parapluie en me balançant mon manteau dans les bras. Je l'enfile en suivant d'un pas pressé le reste du groupe qui se faufile dans la masse de jeunes attendant leurs propres véhicules.

— T'as failli rater le départ, m'intime Hailey. On va chez Connor.

— Chez Connor ? m'étranglé-je presque.

— Ouais, c'est le plus proche et ses parents sont pas là.

Je remarque dans sa voix que l'alcool a perdu son effet. Je garde les yeux rivés devant moi, le cœur battant. Je ne sais pas s'il le fait exprès pour que l'on soit tous réunis, mais Connor proposant de nous héberger est une occasion vraiment idéale pour enfin arracher le pansement. Je déglutis, et calme tant bien que mal mon appréhension. Je me suis préparée. Ça ira.


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