CHAPITRE 1

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" Dans le matin qui se transforme

En un lac de néant candide

 On reconnaît la vie, les formes ;

Semi-transitions vers le vide. "  - Houellebecq

Je m'appelle Louis. Pas Lou. Pas Loueh. Pas Louiiiis. Juste Louis. C'est français. Ma mère adore la France et mes cinq sœurs et moi en avons fait les frais dès notre naissance. Je ne dis pas que je n'aime pas mon prénom, loin de là, mais c'est juste que les anglais n'ont pas l'air de bien comprendre comment il se prononce alors je préfère vous prévenir tout de suite histoire qu'il n'y est aucun malentendu entre nous. C'est Louis.

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire. J'ai 21 ans. Et j'habite toujours chez mes parents. Où plutôt, juste chez ma mère, parce que mon père lui, ça fait bien longtemps qu'il s'est tiré. Il est plus courageux que moi.

Maman a fait un énorme gâteau au chocolat, et toutes mes sœurs sont rassemblés autour de la table - à part Hortense mais elle habite loin alors ça ne compte pas - et elles me chantent Happy Birthday To You et je souris de toutes mes dents - comme si leurs voix n'étaient pas juste affreuses. Alice souffle mes bougies, je la laisse faire parce qu'elle est encore petite et que lui faire plaisir me fait plaisir, puis Jeanne apporte mon cadeau. Il est énorme. Je sais déjà ce que sait et j'ai du mal à ne pas sauter partout autour de la table en criant hourra. Je suis un adulte quand même.

Je déballe le papier doré. Il n'y a plus un bruit dans le salon. Ma mère filme la scène alors je me force à sourire quand l'emballage tombe totalement à terre. Je dis merci, merci beaucoup, fallait pas vraiment, vous êtes adorables. Et elles applaudissent en riant et en me disant que je le mérite que je suis leur frère -fils- adoré et que c'est génial de m'avoir. Je ravale mes larmes et on va manger le gâteau. J'ai mal au coeur. En ce moment, c'est récurrent. Marie pose sa main sur mon épaule et elle me sourit. Elle me demande si ça va et je dis oui, encore merci. On finit le gâteau entièrement, et le téléphone sonne alors je vais répondre, parce que depuis ce matin, tout les appels sont pour moi.

J'avais raison, c'est mon père. Il y a de la musique derrière lui, il cri fort dans le téléphone pour que je l'entende.

" LOUIS ? C'EST TOI ?
- Oui, salut papa.
- BON ANNIVERSAIRE FISTON ! ALORS, T'AS QUEL AGE MAINTENANT ?
- Vingt ans papa. Tu vas bien ?
- AHAHAHA TU DEVIENS VIEUX ! LES FILLES VONT BIEN ? TU AS UNE COPINE MAINTENANT ?
- Je vais te laisser papa, on mange le gâteau. Bisous.
- OK BISOUS A TOUT LE MONDE LOULOU ! "

Il raccroche. Je reste assis sur le carrelage froid de la cuisine, le regard perdu sur le mur blanc. Il est un peu sale maintenant, ça fait deux ans que ma mère l'a repeint. Mes sœurs ont allumés la télé dans le salon, et j'entends vaguement quelques rires, puis on m'appelle alors je me relève et je me mets à sourire à nouveau, un  nœud à l'estomac.

Je prends mon cadeau et je vais le ranger dans ma chambre. C'est une guitare. Exactement ce que je voulais. Elle a la même couleur que la sienne. En fait, c'est la même. A l'identique. Je gratte une corde. Elle n'est pas accordée et puis de toute façon, je ne sais pas en jouer.

Je me lève précipitamment et je vais vomir.
Je fais toujours ça quand je n'arrive plus à sourire pour de faux. La tristesse, elle me brûle la gorge, et l'évacuer me tord les boyaux.

- - -

Après ça, je suis sorti dehors et j'ai été marcher. Il ne fait pas très beau dehors, mais j'aime bien la pluie alors ça ne me gêne pas. C'est un crachin très fin. Ma mère appelle ça " un crachin breton ". C'est une région de France paraît il, la Bretagne, et il y pleut toujours de cette façon là. J'aimerais bien y vivre.

Je marche et j'évite les gens sans les regarder. Le vent froid me pique les joues, le ventre, les jambes. Il me remet les idées en place. Je souffle un peu, je me force à expirer et à inspirer. Je m'arrête devant la vitrine d'un magasin de livres et je regarde les nouveautés. Je n'ai pas d'argent. Je reprends mon chemin.

La pluie se fait plus forte, les gens sortent leur parapluie. Je n'en ai pas. Je m'arrête sous un porche d'immeuble et je me bataille avec la capuche de mon sweat qui dépasse de ma veste en jean. Je n'y vois plus rien une fois que je l'ai mise alors je me remets à marcher en fixant mes pieds. Je ne sais pas vraiment où je vais. Ou peut être que je le sais tellement bien que je n'ai même pas besoin d'y réfléchir.

Je pousse le petit portail vert du parc. Il est trempé. Il y a de la boue dans les allées, et les feuilles vertes des arbres ploient sous le poids de l'eau. J'aime bien l'odeur d'humidité qui flotte ici. J'entre. Je cours presque à présent. Il n'y a plus personne autour de moi, je traverse la pelouse et je me mets à hurler. Le vent me fouette les jambes. Je hurle encore une fois.

Ensuite, je me rends jusqu'au banc et je m'y assois. J'ai les fesses toutes mouillées. Je pleure. Je ne sais pas pleurer silencieusement alors je remonte mes jambes et j'enfouis ma tête entre mes cuisses. Cette position me sert le ventre et m'empêche de respirer, ça me calme plus vite. J'hoquète pendant une dizaine de minutes. J'ai le nez qui coule. Je ne suis plus qu'un amas de boue et d'eau, " bon à passer à la machine " comme aurait dit ma grand mère. Je souris un peu à ce souvenir et puis je me redresse. J'ai toujours du mal à partir, mais là, c'est pire. Les réverbères du parc viennent de s'allumer alors je présume qu'il est dix huit heures quelque chose. Les filles doivent se demander ce que je fais.

Je fixe le banc un moment. La pluie n'arrive pas à effacer les mots qui y sont gravés. J'espère qu'elle n'y arrivera jamais. J'avance mon doigt et je l'y frotte un peu. Dans le creux d'une lettre, puis d'une autre. Je réchauffe cet appel silencieux, sans avoir envie d'y répondre. Ou peut être sans savoir quoi répondre. Un mois. Ca fait un mois maintenant. Je me demande si la personne qui a marqué cela s'en rappelle encore, si elle attend que quelqu'un grave à son tour dans le bois, un mot quelconque, ou si ce n'était que des paroles dans le vent.

Je recule et mes épaules s'affaissent franchement. La pluie à cesser progressivement, et autour de moi il n'y a plus qu'un silence reposant. Le doux murmure des arbres qui gémissent. Le vrombissement des voitures dans la rue lointaine. Je me sens bien. Je me sens toujours bien quand je viens ici. C'est peut être grâce au banc. Grâce aux mots.

Aujourd'hui c'est un jour spécial, c'est mon anniversaire.
J'ai vingt ans.
J'ai reçu une guitare identique à la sienne.
J'ai mal au coeur.
J'ai pleuré.
Il pleut.
Je me sens mieux.

Alors je prends mon couteau suisse et je m'appuie sur le banc. Et à côté des mots déjà gravés, j'écris " merci ".

Ce n'est pas une réponse.

Sensations - Larry StylinsonWhere stories live. Discover now