Chapitre 18

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" On dirait ton regard d'une vapeur couvert;

Ton oeil mystérieux (est-il bleu, gris ou vert?)

Alternativement tendre, rêveur, cruel,

Réfléchit l'indolence et la pâleur du ciel.

Tu rappelles ces jours blancs, tièdes et voilés,

Qui font se fondre en pleurs les cœurs ensorcelés

Quand, agités d'un mal inconnu qui les tord,

Les nerfs trop éveillés raillent l'esprit qui dort.

Tu ressembles parfois à ces beaux horizons

Qu'allument les soleils des brumeuses saisons...

Comme tu resplendis, paysage mouillé

Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé! "

- Baudelaire -








La vie continue. Le soleil se couche tôt, la neige tombe partout. La ville est blanche et grise. Je travaille tout les jours de huit heures à seize, sauf le samedi et le dimanche. Jeanne passe tout son temps à ses répétitions de théâtre, maman prépare ses réunions, Agathe erre dans la maison, Camille me fait la tête, Alice rit toujours. On a un chat. Je l'ai trouvé dans la rue un mardi, il avait froid, il était tout petit, et moi j'avais envie de prendre soin de quelqu'un pour une fois dans ma vie alors je l'ai enroulé dans mon manteau et ramené à la maison. C'est une fille et ma petite sœur a décidé qu'elle s'appellerait Chi, comme dans le manga que maman lui a offert à Noël. Donc, Chi.

Je n'ai pas vu Tess depuis trois semaines. Parfois elle me téléphone, me propose d'aller manger quelque part mais comme je n'ai pas envie je dis toujours non. C'est pas grave. Elle me dit qu'elle espère que je vais bien et comme je ne lui pose jamais la question en retour j'ignore si elle, va bien. Je m'en veux un peu, de la laisser de côté comme ça, parce que c'est mon amie, mais en même temps j'ai l'impression que ma vie s'est détaché en deux morceaux, et que je dois laisser tomber l'ancienne, qui m'empêche d'avancer comme je le souhaite.

Ma nouvelle vie, c'est d'abord Emily. On passe beaucoup de temps ensemble, à discuter de tout et de n'importe quoi. J'ai appris qu'elle avait fait des études de lettres, pour devenir prof de français, mais qu'un jour elle était tombé amoureuse d'un mec jouant du djembé et qu'elle a tout laissé tomber pour le suivre dans ses tournées. Quand elle s'est rendu compte que finalement, elle ne l'aimait pas tant que ça, elle est revenu dans sa ville natale et a cherché un travail le temps de reprendre des études. Maintenant elle veut devenir quelque chose comme traductrice-actrice-peintre- postière. Je l'aime bien Emily, parce qu'elle est tout ce que je voudrais être. Elle respire la joie de vivre, elle sourit tout le temps, et elle rit aussi, avec des petites rides au coin de ses yeux. Elle dit des choses comme " Carpe Diem " avec l'air d'une grande tragédienne grecque et elle écrit sur ses chaussures des paroles de chanson de Bob Dylan. Je crois qu'elle sort d'un autre temps, et parfois, j'ai envie de la protéger de ce monde qui ne semble pas fait pour elle.

Ensuite, bien sur, c'est Harry. Harry. Harry, c'est un peu un mélange de tout ce que je hais, et tout ce que j'adore. C'est le prénom que j'ai sur les lèvres avant de m'endormir, et aussi celui qui me donne envie de pleurer. C'est ce que je m'étais refusé de revivre à nouveau, et qui me harcèle à l'épuisement. Harry, il efface tout, je le regarde et tout m'échappe, plus de souvenirs, plus de malaise, il est comme une page blanche qui s'étale indéfiniment sous mes yeux, une page que j'ai envie de noircir d'insultes et de mots d'amour. Je sais pas. C'est le problème. Quand je suis avec lui, il n'y a que lui. Lui et moi. C'est comme quand j'étais près de Rudy et que j'avais envie qu'il me regarde, qu'il voit dans mes yeux que je ne désirais que lui, que j'avais envie qu'il envoi se faire foutre tout les autres, et qu'il me serre dans ses bras jusqu'à ce que j'étouffe. C'est pareil. Sauf que Harry, je n'ai pas besoin de lui dire tout ça, je sais qu'il le lit dans mes yeux, je sais qu'il comprend que je suis paumé, que j'ai peur de ce que je ressens quand il m'approche de trop près, que j'hésite entre le repousser de toutes mes forces, d'hurler que je veux pas connaître ça à nouveau, tomber dans la spirale de l'adoration. Je sais qu'il oscille entre le vide et la lumière, qu'il n'est pas fiable. Ses pupilles vertes, elles me crient qu'il ne pourra jamais m'offrir tout ce que je désire, mais que putain, il a quand même envie d'essayer.

Sensations - Larry StylinsonWhere stories live. Discover now