CHAPITRE 6

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But I love him from the skin to my bones
But I don't wanna live in his home
There's nothing to say 'cause he knows
I'll just runaway and be on my own - Ed Sheeran, RunAway

Il descend l'escalier en courant, essayant sans succès de remettre de l'ordre dans ses boucles brunes. Ses cheveux sont vraiment trop longs. Mais il n'a pas le courage de les couper. Et puis d'après madame Berry, ça lui donne un air adorable. Il n'est pas sur d'apprécier l'adjectif " adorable " mais le fait d'avoir un " air ", ça lui plait. Il faut savoir faire des concessions.

Il pousse la porte de l'immeuble et sort dehors. Foutu pluie. Foutu temps de merde. Tout est tellement gris en ce moment. Il contemple les tours, les barres, les appartements miteux qui l'entourent. Affreux. Il a hâte de se casser, de s'ouvrir un chemin, et de voir le ciel. Il a hâte de laisser toute cette misère derrière lui, et d'avancer vers la lumière.

" Harry ?

Il descend la dernière floppée de marche et tape dans la main de son meilleur ami. Angelo lui adresse un sourire enjôleur. Toujours le même. Il ne sait pas sourire autrement que comme ça. Harry lui, ne sait pas sourire autrement que sur le côté. Si il étire un peu trop les lèvres, il a une fossette, et il déteste cette fossette, alors il sourit seulement sur le côté. C'est déjà pas mal.

- Salut, Angelo.

- Tu pensais au sens de ta vie, j'te dérange peut être ?

Il laisse échapper un grognement et puis ils rient. Quand ils sont ensemble, ils rient tout le temps. Ils ont l'impression d'être heureux comme ça, d'être à part. L'espoir fait vivre, comme on le dit si bien.

Ils marchent au milieu des immeubles, passent sous le porche du numéro 7, qui est en train de se faire repeindre parce qu'un mec avait taché le mur de sang pendant une bagarre - Harry aime bien la nouvelle couleur - et vont jusqu'au parking. Ils slalomment entre les voitures, dessinent des trucs sur le capot dégueulasse de la camionette du mec du cinquième puis rejoignent leur coin.

" Le Paradis Artificiel ". C'est écrit sur la porte. Une idée d'Harry, qui aime décidément beaucoup trop Baudelaire. Angelo aime bien, même si il n'a toujours pas vraiment saisi la référence. C'est une ancienne réserve, qui servait pour les vélos. Il leur a suffit d'entrer dans la loge de la concierge, de piquer la clé, et bonjour, le monde est à nous. Ils aiment bien la réserve. Ils l'ont repeinte. Entièrement à la bombe. C'était au moment où Harry avait encore de l'inspiration. Parfois, il se dit que celle ci s'est évaporée sur les murs de la pièce. Et ça lui plaît, de contempler ça chaque jour, ces petits bouts de lui. Il n'y arrive plus maintenant, à créer. Il ne sait pas pourquoi.

On ne saura jamais.

Ils se laissent tomber sur les couvertures, et Harry prend un livre au hasard sur la pile de la semaine. Angelo fait la conversation pour eux deux, tout en se roulant un joint. Il parle du temps qu'il fait, du prof de sciences naturelles qui s'est tapé la secrétaire dans le laboratoire désaffecté. Il raconte qu'Amy, la petite fille des Twist serait aparemment enceinte et que Tobby n'y serait pas pour rien. Harry ne dit rien, il tourne les pages de son livre en silence, et accepte de temps en temps le tube bourré d'herbes qu'Angelo lui tend. Ce n'est plus la même envie qu'avant.

Il repose son livre et soupire. Le silence s'installe, un peu pesant. Angelo le fixe, et dans ses yeux bruns, il lit un désarroi immense. Mais Harry n'aime pas s'intéresser aux problèmes des autres, même si cela concerne son meilleur ami, alors il ne pose aucune question. Ils finissent de fumer sans échanger aucune parole. Angelo se laisse tomber sur le sol froid.

" Tu viens à la soirée demain ?

- Tu m'invites ?

- Je suis même pas invité moi, c'est chez l'autre gros con de Oliver.

- Je viens alors.

- Tant mieux.

Silence. Harry range son livre. Angelo le regarde faire, son éternel sourire aux lèvres. Il connaît Harry depuis si longtemps. Il sait qu'en ce moment, il ne va pas bien. Il sait aussi pourquoi, mais à quoi bon en parler ? On a tous ses moments où rien ne va. Et de toute façon, ici, rien ne va pour personne. Le gris à tout jamais. Pour Harry, ça ne peut pas être autrement.

- Tu sais Angelo, j'ai fait un truc con l'autre jour.

- Me dit pas que tu as mis une fille enceinte toi aussi...

- Bien sur que non !

- Alors quoi ?

- Alors rien. J'ai étalé ma faiblesse à la vue de tout le monde. Et maintenant que quelqu'un m'a pris en pitié, je ne sais plus quoi faire.

- ...

- Tu as compris ?

- Non.

Ils éclatent de rire et ils se roulent encore un joint. Et puis un deuxième. Le jour tombe, le ciel devient noir. Et lorsqu'ils sortent de la remise, le monde n'est plus seulement grisâtre, mais obscur. Ils restent un instant sur le parking, et puis un homme traverse. Ils le suivent du regard. Il rentre dans sa Mercedes, il a l'air satisfait. Angelo ne dit rien, Harry non plus. L'homme s'en va, il a un chemin, lui, peut être pas très clair, mais au moins assez délimité pour quitter le quartier pourri. Harry tape dans l'épaule d'Angelo, et lui sert son sourire en coin.

- Bon. Maintenant que le silence va être revenu dans l'appartement, je vais y aller.

- Ta mère fait dans le bourgeois maintenant ?

- Faut croire.

- Un trou reste un trou, conclut Angelo.

Et ils se quittent en riant encore un peu. Parce que même obscure, la vie continue.

Sensations - Larry StylinsonWhere stories live. Discover now