CHAPITRE 3 - PARTIE 1

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" Tout seul au point du jour - solitude sereine
Un manteau de brouillard descend de la rivière
La tristesse a fini par dissiper la haine,
Je ne suis déjà plus du monde de la matière. " - Houellebecq

Je ferme les yeux un instant. Le soleil est doux sur mon bras. Je remonte la couette pour ne plus le sentir. Il fait chaud. Ou plutôt, c'est moi qui ai chaud. Mon corps à cette odeur de sueur particulière aux nuits d'amour. De sueur et de parfum pour femme. De sueur et de baiser.

Je caresse distraitement ses cheveux d'ors. J'ai envie de fumer. Je ne fume presque jamais, mais j'aime bien le matin. Surtout quand je suis avec elle, encore nu dans les draps, et qu'il y a ce bien être imperceptible qui fait battre mon coeur. Mais je sais qu'elle n'aime pas l'odeur alors je ne bouge pas. De toute façon, le poids de son corps sur le mien m'empêche tout mouvement. Je bouge un peu, elle grogne.

" Louuuu...

Je soupire, bien qu'elle soit encore trop endormi pour m'entendre. Je regarde le plafond, et je me mets à penser. C'est bizarre de se dire qu'on se met à penser, parce que logiquement, penser, on le fait continuellement, mais il y a penser et penser. Là, je pense. Pas à a ce que je vais manger ce soir, pas à la dame de la bibliothèque qui ne m'a toujours pas rappeler et pas non plus aux mots que j'ai écrit sur le banc comme un enfant de cinq ans. Non. Je pense à lui.

Ce n'est pas super de penser à lui, alors que je l'ai elle dans les bras mais je n'ai rien d'autre à faire de toute façon. Généralement, je le repousse bien loin dans un coin de mon cerveau, mais les matins comme celui là, où le soleil est doux et l'air à peine humide, il revient toujours. Je n'y peux rien.

Cigarette. Odeur de menthe.
Des cheveux fous, blonds comme les blés.
Rimbaud moderne, Rimbaud rieur, Rimbaud partout, il me rend fou.
Un air de guitare sous le ciel bleu d'été.
Et des filles qui chantent.

Elle bouge. Ses cheveux me caressent le ventre, et je recule sans le vouloir. Elle se perd contre le matelas blanc, avec un soupir de satisfaction. Ses yeux s'entrouvrent. Deux petites mares bleutées. Les miens sont des océans de tristesse. C'est lui qui disait ça, quand il avait beaucoup bu et que la bière lui faisait dire la vérité. Tes yeux sont des océans de tristesse.

Je lui souris un peu.

- Bien dormi ?

Sa voix est lente. Je touche sa joue du bout des doigts. Ses lèvres roses. Ses paupières lourdes et blanches. Elle est jolie, Tess. Je l'aime bien.

- Oui. Et toi ?
- Hmhm.
- Je vais devoir y aller, les filles m'attendent.
- Hmhm.
- ... ça va aller ?
- Louis. J'habite toute seule depuis des mois alors je vais pas mourir que tu t'en ailles maintenant.

Je lève un sourcil, un peu mortifié. Le rêve s'arrête là. En fait, il n'y en a jamais, de rêve, avec Tess, mais j'aime bien m'imaginer de belles choses. C'est un secret entre moi et mon coeur. Un petit océan de bonheur que je m'accorde à petites doses, pour aller y piocher dès que je me sens trop mal pour avancer. Un matin, une nuit, un câlin, des baisers, des regards, une odeur.

Je me lève, repousse la couette, tire le rideau pour que le soleil ne me touche pas et je m'habille. Tess roule dans les draps et soutient sa tête de sa main droite. Ses cheveux tombent en pagaille sur l'oreiller.

- Louis... Tu m'en veux encore... Pour l'autre jour ?
- Non.
- Jeanne m'a dit que tu ne voulais plus me parler.
- Je te parle là, non ?
- ... Oui. Mais... Je suis désolé de t'avoir vexé.
- Tess, c'est bon. On arrête là.
- Ok... Je suis contente que tu sois venu.
- Je suis content d'être venu aussi.

Je récupère mon sac à dos dans un coin de la chambre. Elle s'étire un peu et s'enfouit à nouveau sous la couette.

- Tu veux que j'ouvre les volets ?
- Nnnnn.

Je prends ça pour un non.

- A demain Tess. "

Pas de réponse. Je croit qu'elle dort déjà. Je sors de la pièce et je referme derrière moi. Elle habite au dernier étage d'un immeuble pourri, juste assez grand pour toute sa garde robe et un lit double. Je me laisse tomber sur la première marche de l'escalier. Il est minuscule lui aussi, tout en colimaçon.

Je ne sais pas pourquoi, mais ce matin, j'ai vraiment mal.
C'est peut être le soleil, je sais pas. Mais j'ai mal.
Toute la douleur que contient mon estomac se soulève et me donne envie de vomir.
Je me mets à courir dans l'escalier. J'ai besoin d'air. Je besoin de me laver. De ne plus avoir l'odeur de Tess sur ma peau. J'ai besoin de respirer. De hurler. De courir.

C'est horrible d'avoir si mal et d'ignorer pourquoi. Est ce que quelqu'un un jour s'en rendra compte, que je souris pour de faux, que mes yeux sont tristes, et que je m'englus dans tout ça sans pouvoir rien y faire ? Est ce qu'un jour quelqu'un m'expliquera comment faire, pour être heureux ?

Je sors sur le trottoir et je reste chancelant.
Le monde est si brillant.
Le monde me fait peur.

Sensations - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant