Chapitre 29

200 10 14
                                    


Toujours en vie après m'être crue définitivement perdue, je suis installée sur mon lit, le corps en repos total, tentant en vain de trouver le sommeil. Allongée à mes côtés, ma fille adoptive elle aussi a les yeux grands ouverts. Au terme d'une demi-heure de silence, elle finit enfin par se lever brusquement :

- « Cela suffit, nous ne parviendrons pas à dormir de toutes façons. Je vais préparer un thé à la menthe et nous pourrons parler un peu. »

- « Tu as raison. Et tant pis si nous sommes épuisées demain. J'ai l'impression que tu as envie de me poser une question précise... »

- « C'est vrai. En fait, je me demande pourquoi vous avez eu une si grande sollicitude pour Amora. Pour ma part, j'aurais volontiers laissé pourrir sa dépouille au fond des marécages d'Isnar, où personne ne va jamais de toutes façons ! »

Je réfléchis quelques instants pour trouver la meilleure façon de m'expliquer :

- « Vois-tu, quelque chose me dérange dans l'histoire de cette magicienne. En fait, au départ, son seul crime a été de ne pas se conformer aux interdits qui s'appliquent aux femmes en ce monde. Elle voulait être libre... sexuellement, comme les hommes, et passer d'un amant à l'autre à sa guise. »

Tallia semble étonnée et, tout en faisant couler l'eau brûlante de sa théière dans les tasses, m'écoute avec une grande attention :

- « Cela me surprend, maman, de vous entendre parler ainsi. Vous-même avez toujours souhaité arriver vierge au mariage et rester fidèle à votre époux. »

- « C'est vrai. Pour ma part, je ne peux dissocier plaisir et amour. Mais j'admets que les autres puissent ne pas penser comme moi et je trouve profondément injuste que sur Asgard les hommes aient le droit de s'amuser autant qu'ils veulent alors que les femmes finissent méprisées et bannies si elles font la même chose. »

- « Je n'avais jamais raisonné de cette façon, mais vous n'avez pas tort en fait... »

- « Je pense qu'Amora est devenue le monstre que nous connaissons car elle n'a pu supporter la pression sociale de ce royaume, qui l'a lourdement condamnée pour une prétendue faute pourtant bien légère. Elle mérite à ce titre de justes funérailles qui permettront à sa famille de se recueillir dignement. »

Ma fille ne peur réprimer un petit rire :

- « Sa famille ? Ils l'ont peut-être hébergée à son retour d'exil mais sans pour autant lui pardonner. Je suis sûre qu'ils seront presque soulagés d'apprendre son décès. Cela peut paraître incroyable, mais vous êtes sûrement la seule à penser à elle en ce moment. Vous êtes vraiment d'une exceptionnelle générosité. »

Alors que mon regard se voile, une ombre secrète et oubliée du passé semble soudain revenir à la vie :

- « Vois-tu, ma chérie, j'ai tellement souffert dans mon enfance que cela m'a à jamais dissuadée d'être méchante. J'ai été privée de tout, de ma mère, d'affection, de soins, de rires, de fêtes. Je n'ai connu que des jours semblables les uns aux autres, le travail épuisant sans relâche, l'interdiction de parler et de regarder le ciel par les fenêtres, les coups et menaces de Hans. Jusqu'au jour de mes seize ans où j'ai été offerte à un maître qui m'a violée sans scrupule, détruisant le même soir mon corps et tous mes rêves. Je mesure la chance exceptionnelle que j'ai eue en tombant malgré cela amoureuse de lui. Alors aujourd'hui, il n'y a plus de place dans ma vie pour la haine et l'esprit de vengeance. Les personnes qui font gratuitement le mal ne m'inspirent que de la pitié. »

ANGE ET DEMON, UNE LEGENDE D'ASGARD - TOME 3Donde viven las historias. Descúbrelo ahora