2 - Arthur

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— Arthur, viens tout de suite, s'il te plaît ! exige mon père avec inquiétude.

— Bien sûr...

Nous raccrochons et je me lève de mon fauteuil pour rejoindre son bureau à l'étage au-dessus.

Dans l'ascenseur, l'écusson des Wellington trône fièrement dans un bel ovale où rouge et dorure se mêlent. L'empire international de la viande. Mon père a fait fort. Il a travaillé avec acharnement toute sa vie pour nous propulser sur le podium. J'aimerais tant qu'il prenne sa retraite maintenant, avant qu'il ne me claque dans les doigts. Il a déjà eu une alerte. Certes, il a ralenti le rythme. Ma mère l'attend depuis toujours pour voyager un peu plus, mener une vraie vie de couple. Ils forment encore une bonne équipe. Il serait temps qu'il accepte de prendre enfin sa retraite, il a déjà dépassé l'âge depuis un moment.

Je sors de l'ascenseur et sa secrétaire me devance pour m'ouvrir la porte. Elle a régulièrement été plus que pressante à mon encontre. Pourtant, je ne fais aucun effort pour l'encourager. À peine un sourire, à peine un hochement de tête pour la remercier et elle ferme le battant derrière nous.

— Un problème, papa ?

— Oui, regarde-moi cette courbe qui se casse la gueule et celle-ci qui gravit la montagne... Mais jusqu'où va-t-elle aller, bon sang ?

Il tourne son écran king size vers moi et je m'assieds face à lui. Quand je vois les diagrammes, je sais de quoi il s'agit. Les ventes baissent et le taux des griefs à notre encontre augmente. Oui, cette chaîne de transformation est un problème. Elle est censée ne mettre que de la viande de bœuf dans ses boulettes bas de gamme. Mais voilà qu'un cabinet d'expertise a dévoilé qu'il y avait de la viande de cheval (encore... ça, c'est comestible), mais aussi du rat ! Ce dernier a moins sa place dans nos habitudes culinaires.

Résultat, la courbe qui descend correspond à notre chiffre d'affaires qui s'écroule pour cette société en particulier, et celle qui monte est celle des mécontentements de toutes ces bonnes mères de famille qui ne veulent pas être dupées. Je comprends bien le souci. Mais les pays de l'Est sont loin et je ne peux pas passer mon temps à y aller pour les surveiller.

Nous connaissons le problème depuis un moment déjà. Jusqu'ici, nous avions réussi à le cacher et mettre la pression sur ces petites entreprises afin qu'elles restent dans le droit chemin. Pourtant, elles dérivent sans arrêt. Je soupire de lassitude.

— Papa, vendons cette filière.

Mon père plisse le front, pas convaincu du tout.

— Et nous couper de ce chiffre d'affaires annuel considérable ?

Il me fait marrer parfois. C'est ça qui l'a mené à l'infarctus. Il faut savoir lâcher prise sur ce que l'on ne peut maîtriser et s'en débarrasser.

— Papa, malgré mes allers-retours, ça ne marche jamais longtemps !

— Eh bien, le président en Pologne a déjà reçu sa lettre de renvoi ! Les autres devraient rentrer dans le rang rapidement.

C'est tout mon père. Il ne tergiverse jamais longuement.

— Et que vas-tu faire pour les enquêtes d'insatisfaction qui montent en flèche de toute part et nous incriminent, alors que ce groupe ne représente que quinze pour cent de nos filiales ?

— Tu te souviens de cette influenceuse, Babette Beauregard, bien trop impliquée dans la cause animale... Je t'en ai parlé, il y a quelques mois...

Cette nana est très active sur les réseaux sociaux, mais en plus, elle a de généreux donateurs qui l'invitent partout sur la planète pour défendre la cause animale, que ce soit dans nos assiettes, les zoos, les massacres... Elle est devenue une vraie icône. Je crois bien que son look à la BB en brune n'a fait qu'accélérer son ascension. Presque une copie conforme de ses 20 ans, avec une chevelure d'ébène et de grands yeux chocolat. Elle est à croquer. J'avoue que je ne la prenais absolument pas au sérieux, jusqu'à ce que le scandale des boulettes au rat éclate à cause d'elle. Elle a un réseau et elle sait communiquer.

Bref, elle nous a foutus dans la merde, jusqu'au cou.

— Bien, je vois à ton petit sourire carnassier que tu saisis qui est notre ennemie à abattre. J'ai mis un plan en place ces derniers mois... Il est l'heure de l'exécuter, et j'ai besoin de toi.

Son air déterminé et ses joues rouges de colère ne me disent rien qui vaille. Qu'a-t-il encore inventé ? Je suis coprésident avec lui depuis son malaise. Nous avons divisé les activités en deux pour le soulager. Je ne pensais pas qu'il passerait une partie de son temps libre à monter un stratagème contre la coqueluche des végans.

Je soupire, déjà excédé par son manquement à rester sage et prendre du repos. Pour autant, je demeure complaisant.

— Qu'attends-tu de moi ?

— Après le scandale qu'elle a dénoncé, j'ai commencé à offrir divers services à quelques-uns de ses donateurs peu scrupuleux, en échange de moins de générosité. Je sais donc qu'elle galère financièrement. D'ailleurs, elle vient de recevoir une lettre d'huissier pour la mettre à la porte.

Mon père glisse un dossier devant moi. Il n'a pas lésiné sur ses enquêtes. Personnellement, je m'y suis intéressé il y a quelques mois, puis j'ai lâché l'affaire, pensant qu'elle n'était pas dangereuse. J'ai eu tort.

J'ouvre la chemise cartonnée. Des photos d'elle en mission, de l'engagement impressionnant de ses fans, de la courbe de ses donateurs qui décroît... Je continue de feuilleter. Elle a une petite sœur dont les frais de scolarité sont exorbitants. Pourquoi est-ce cette Babette qui paie ses études ? Je poursuis... et là, je suis complètement choqué par ma découverte.

— Personne ne connaît cette information ?

Mon père exulte de bonheur en me faisant non de la tête, et son sourire de requin m'indique qu'il va la bouffer toute crue et en une seule bouchée.

— Ce sera la dernière carte à poser pour la mettre à terre à jamais !

J'acquiesce à plusieurs reprises. Cette nana cache bien son jeu.

Je tourne la page de son secret et continue de consulter son dossier. Deux millions d'abonnés tout de même sur ses réseaux. Ce n'est pas rien. Elle est soutenue par les plus grandes associations planétaires.

— Mmmm... Il faut la jouer finement, sinon nous allons tomber avec elle, papa.

— Bien sûr... Tout est arrangé !

J'observe mon père. Il est tellement rassuré quant à la suite des événements que je sais qu'il a prévu un coup terrible et que la pauvrette n'y survivra jamais.

— Je t'écoute, dis-je en ricanant, pressé maintenant d'en savoir plus.

— C'est très simple : son compte en banque est vide, elle est à la rue, la scolarité de sa cadette doit être réglée rapidement sous peine qu'elle soit renvoyée... Là aussi, tout est programmé !

Je frotte ma barbe de trois jours, tout en admirant ce paternel qui m'épatera toujours.

— Nous allons l'embaucher ! conclut-il.

J'éclate de rire. S'est-il cogné la tête dernièrement sans que ma mère m'en ait informé ?

— Papa, elle est végane !

— Nous allons lui faire croire que nous ouvrons une branche totalement végétalienne. Elle a besoin d'argent, elle acceptera.

— C'est une plaisanterie ?

— Absolument pas ! Tu vas travailler avec elle sur ce projet. Bien sûr, nous la paierons... Pour sa sœur... Je ne suis pas ingrat, quoique... Nous verrons bien... Dans tous les cas, cette branche ne verra jamais le jour chez les Wellington. On la massacre, on n'en parle plus et nous reprenons la première marche du podium qui vient de nous échapper.

Je tique. La deuxième marche de la planète en matière de lobbying de la viande, ce n'est pas si mal.

— Elle est jolie, non ? demande mon paternel en me montrant une photo de Babette, la mettant tout à fait à son avantage.

J'acquiesce, ne voyant pas pourquoi il me pose cette question.

— Arthur, s'il le faut, tu la baises ! Tous les moyens sont bons pour réussir !


Brigitte Bardot.

Irrésistible ennemi : Une romance ennemies to lovers addictiveWhere stories live. Discover now