9 - Arthur

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Mardi 2 décembre.

Je sue de nouveau comme un bœuf, mes haltères à la main. Aujourd'hui, je tente de refréner mon entrain. Je dois arriver au bureau en pleine forme pour accueillir cette Babette. Après une nuit agitée, pleine de porte-jarretelles, de seins libérés, et une chevelure brune éparpillée tantôt sur mon oreiller de soie, tantôt penchée sur mon bas-ventre, je suis furax.

Je rugis tel un lion en cage.

Miséricorde !

Je me suis réveillé avec un gourdin dur comme du bois. C'en était presque douloureux. J'ai très mal dormi. Je ronchonne tout seul ma mauvaise humeur. Un truc pareil ne m'arrive jamais.

Je passe aux élastiques et tire dessus comme un bourrin, à une vitesse acharnée. J'en ai mal aux bras. Je serre les mâchoires pour endurer la dose que je me mets en espérant trouver la paix. Puis, je me rappelle...

Calme tes ardeurs, Arthur, sinon la sauvageonne va te croquer en une bouchée.

Je me souviens comment a commencé le mouvement des bifurqueurs, il y a quelques années. Elle en faisait partie, cette garce. Tout échevelée, dans sa robe champêtre. Elle initiait le courant avec d'autres de sa promo, à expliquer qu'il y avait une alternative à cette destruction de la nature, à ce capitalisme indécent. J'étais déjà à la tête de Wellington avec mon père. Nous avons souri devant tant de naïveté. J'ai pensé qu'elle était trop jeune, qu'elle manquait de maturité, qu'elle n'avait pas bien compris les concepts de ce qu'elle avait appris. Pourtant, major de sa promotion, ce n'est pas rien, ça supposait qu'elle avait un minimum d'intelligence. J'aurais dû me douter qu'elle n'allait pas seulement mettre quelques ruches sur les toits de Paris et faire planter quelques arbres dans les parcs de nos plus grandes villes pour que les insectes survivent.

J'ai été négligent, j'ai lâché cette affaire. Je me suis plongé à fond dans mon boulot. Je sais que quelques concurrents ont employé ces ingénieurs bifurqueurs et que la négociation sur les conditions de travail est difficile, tout comme les choix sur les coûts de fabrication. La pénurie d'ingénieurs oblige à recruter tous ceux qui se présentent. Enfin, le groupe Wellington en avait été à l'abri... jusqu'ici.

J'avoue que j'ai pensé que l'idée de mon père se résumait à un jeu d'enfant. Mon coprésident voulait à tout prix embaucher celle qui pour la première fois nous avait mis du plomb dans l'aile. Je comprends le concept « Sois proche de tes amis et plus proche encore de tes ennemis ». Malgré tout, maintenant que j'ai rencontré la belle, je me demande si mon paternel n'a pas fait un mauvais calcul.

« Arthur, s'il le faut, tu la baises ! »

Cette simple idée me donne une trique d'enfer. Jamais il n'aurait dû me faire une telle suggestion. Il a semé une graine qui est en train de germer. Le ver est dans la pomme et je ne pense plus qu'à ça, qu'à elle. La curiosité s'est immiscée en moi et ne demande qu'à être satisfaite.

Ma séance enfin terminée, je me prépare. Je dois absolument être à l'heure et je prie pour qu'elle soit en retard. Si j'arrive à la prendre en faute, je renégocie son contrat, sinon c'est la porte !

Je pousse les rapports de mon coupé Vantage. Les pneus crissent quand je me gare dans notre parking. Je fulmine contre moi-même. J'ai redoublé de malchance. Les embouteillages étaient au rendez-vous. Je fonce vers l'ascenseur pour monter jusqu'au trentième niveau. Je vais être pile à l'heure alors que je prévoyais d'être en avance.

Forcément, c'est le moment où tout le monde arrive, alors cette foutue cabine dessert tous les étages. Mes employés entrent ou sortent en fonction de leur job. Bien sûr, ils me reconnaissent et me saluent. Avec ma stature et ma silhouette, je domine tout mon petit monde et j'avoue que c'est jouissif.

Néanmoins, aujourd'hui, mon sourire bienveillant s'est fait la malle et je les vois tous froncer les sourcils tandis que je leur réponds à peine. Cette cabine n'en finit pas de monter. Je tape du pied pour lui donner de l'élan, en vain. Je crois que j'aurais mis moins de temps en passant par les escaliers.

Enfin arrivé au vingt-neuvième niveau, je bouscule toutes ces personnes afin de me faufiler devant les portes. Je veux être le premier à sortir. Tout le monde se tait, on pourrait entendre une mouche voler. Après tout, je suis le patron et j'ai le droit d'exiger d'être le premier dans MON ascenseur.

Finalement, je descends à mon étage et déboule dans le couloir. Une porte claque et je n'ai pas le temps de regarder que je me cogne contre une furie brune tout échevelée. Méduse, malgré ses serpents, serait plus douce. Le choc frontal est rude et je chope son bras pour la retenir de tomber. Je la ramène contre moi et son parfum fleuri m'enflamme immédiatement. Ma galanterie me perdra. Je la lâche d'un coup sec comme si sa peau me brûlait. J'aurais dû la laisser s'écrouler à mes pieds.

Surpris, je l'observe et comprends qu'elle sort de la cage d'escalier, encore toute décoiffée.

Quel style !

Je lève les yeux au ciel. Moi qui faisais tout pour oublier qu'elle ne m'invitait qu'à la débauche, ma carapace vient de se fissurer.

Je cille en la regardant.

— Vous n'avez tout de même pas monté trente étages ?

— Bien sûr que si !

Son air conquérant ne me dit rien qui vaille. Elle passe devant moi pour aller vers ma secrétaire.

Elle est folle !

C'est plus fort que moi, j'attrape à nouveau son poignet et la tire à ma suite. C'est très Cro-Magnon, évidemment. Mais avec sa tignasse, je pourrais tout aussi bien la tirer par les cheveux et la traîner derrière moi. Forcément, elle me résiste et freine.

Frêle créature !

La coriace ne fait pas le poids.

— Venez, Babette, dans mon bureau !

Elle se débat et je la lâche à contrecœur. Ses talons claquent, prouvant son mécontentement. Elle me rattrape et met un point d'honneur à revenir à ma hauteur. Je me pourlèche les lèvres. Alors que je vais devoir travailler avec elle ; enfin, faire semblant. Je salue à peine ma secrétaire qui fronce les sourcils, soucieuse. Françoise est une mère pour moi.

— Le contrat est sur ton bureau, Arthur, déclare-t-elle, posément.

Je la rassure et la remercie d'un signe de tête. Nous allons devoir tous nous adapter à cette plaie qui nous tombe dessus suite à une lubie de mon père.

Dès que la sauvageonne a passé le pas de ma porte, je ferme le battant et l'invite à s'asseoir face à mon fauteuil de président. Évidemment, je m'installe immédiatement pour lui montrer qui est le boss, ici.

Pas de temps à perdre, je pousse le contrat vers elle et lui tends mon stylo Montblanc. Forcément, elle fronce les sourcils de désapprobation quand elle reconnaît le logo hors de prix. Je jubile. Elle va bien devoir s'y faire. Elle a deux mois pour ronger son frein.

Elle se penche sur mon bureau ; son chignon lâche a encore libéré quelques mèches rebelles. Je n'ai qu'une envie : tirer sur l'élastique pour laisser s'échapper cette magnifique chevelure de sauvageonne. Je l'imagine à nouveau recouvrir mon oreiller. Décidément, cette image m'obsède. Je note mentalement de faire changer les draps pour du satin blanc, peut-être même rouge. C'est davantage luxuriant. Oui, carmin pour nos ébats, c'est ce qu'il nous faut.

Je l'observe vérifier tous les termes du contrat et signer son arrêt de mort. C'est courageux de sa part d'oser entrer en terrain hostile. J'admire sa ridicule témérité.

Je suis pleinement satisfait. Sa main s'envole, la plume glisse et elle me pousse les documents. Sa bouche forme un pli malicieux qui ne me dit rien qui vaille. Ça m'excite dangereusement.

Enfin, elle a signé. Elle file droit dans la gueule du loup !

Irrésistible ennemi : Une romance ennemies to lovers addictiveTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon