3 - Babette

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Je suis victime de harcèlement postal !

Non seulement je viens de recevoir une lettre d'huissier m'invitant à quitter mon appartement sans protester, mais en plus, voilà que ce matin, une offre d'embauche arrive, d'une des boîtes que je tente de couler.

Des ennemis, j'en ai à la pelle. Néanmoins, j'ai aussi beaucoup d'alliés.

Pourquoi me proposent-ils un contrat d'un mois pour commencer ?

Bien sûr, ma mission est précisée sur la proposition qu'ils me font : étudier l'opportunité d'une branche végane au sein de l'empire de la viande.

Alors que je viens de les faire descendre d'une marche du podium de la montagne des dollars, ces vautours veulent me récupérer, moi !?

Je fais la moue.

Je réfléchis.

Je suis quasiment persuadée qu'ils envisagent de me jouer un tour, et plutôt un mauvais. Évidemment que je rencontre un petit succès, mais je ne suis pas la seule dans mon domaine. Certaines célébrités s'acoquinent même des grandes marques qui s'achètent juste un vernis qualité sur l'autel de l'écologie. Ainsi, Natalie Portman est devenue l'égérie de Dior pour une gamme de chaussures écoresponsables...

Dior, tout de même, crotte de bique !

Le luxe est capable de tout s'offrir pour son image.

Bref, que me veulent ces charognards de Wellington ? J'ai réussi à leur mettre un bon coup derrière les oreilles à cause de leurs boulettes au rat. Je ricane en songeant à toutes les preuves que j'ai collectées. D'ailleurs, ces viandards n'ont pas pu me faire de procès puisque tout était vrai. Ils n'ont pas eu d'autre choix que d'indemniser les victimes abusées qui pensaient acheter du bœuf.

Je regarde à nouveau la lettre. Leur offre est alléchante, je ne peux le nier.

Les frais de scolarité de ma sœur sont hors de prix. Cependant, je tiens à ce qu'Annette poursuive ses études. Mes parents sont au bord de la banqueroute. Je ne sais pas comment ils vont y échapper. Je soupire de lassitude. Les sourcils froncés, je me demande bien comment ils vont pouvoir s'en sortir. Pourtant, à cette période de Noël, leur entreprise devrait mieux se porter ; or il n'en est rien. C'est extrêmement contrariant.

J'entasse mon peu de vaisselle dans un cageot, récupéré dans un magasin bio que j'ai l'habitude de fréquenter. Mon téléphone sonne. Je plisse les yeux quand je vois apparaître le diminutif de mon ex.

— Salut, Ben ! dis-je en décrochant.

Je fais tout pour ne pas montrer que je suis ronchon.

— Salut, ça va ?

Il a pris sa voix chaude. Je sais d'avance que le mois à venir va être difficile. Benjamin cherche à me reconquérir. Pourtant, nous nous sommes quittés d'un commun accord. Nous étions à fond dans nos missions de vie et éreintés le soir. Nous tombions dans les bras l'un de l'autre sans avoir le courage de nous aimer vraiment. Du coup, nous nous sommes attachés, mais moi, je l'aime comme j'aime ma petite sœur. Lui voit en moi un moyen d'avoir encore plus de succès dans son ONG.

— Bien, et toi ?

— Je t'attends avec impatience ! Quand souhaites-tu que je vienne te chercher ?

Je n'ai pas de voiture, alors Benjamin me file un coup de main. Il n'attend qu'un mot de ma part pour louer un véhicule. Ce coup-ci, je lève les yeux au ciel devant son empressement. Je suis tellement pressée de toucher l'argent des Wellington pour reprendre mon indépendance. M'avoir à un coût, et j'ai prévu de leur faire cracher bien plus que la somme écrite dans leur misérable contrat.

— Dimanche, ça te va ?

Soupir de déception à l'autre bout du fil. Je grimace. Je tiens à mes dernières trente-six heures de zénitude.

— Mouais, ça ira !

J'en souris : il fait contre mauvaise fortune bon cœur.

— J'ai une excellente nouvelle, m'annonce Ben.

Pas bon, ça, je crains le pire !

J'attends qu'il crache le morceau.

— J'ai une proposition d'emploi plus qu'alléchante pour toi !

Mais pourquoi veulent-ils tous me prendre ma liberté ?

Benjamin essaie de me faire recruter par son ONG depuis toujours. Le problème est qu'elle n'est pas totalement clean, car soutenue indirectement par une grosse industrie de l'agroalimentaire. Du coup, leurs choix sont influencés par ceux qui tiennent les cordons de la bourse.

— Merci, mais je viens de recevoir une proposition d'embauche et j'ai un entretien lundi matin.

— Ah bon ?! Qui ?

C'est là que ça va coincer et qu'il va vouloir me faire changer d'avis. Et je le comprends bien, car il va falloir que ce boulot reste secret. Encore un de plus à préserver. Je rumine toutes ces crasses qui empêchent les engrenages de bien tourner. Des fois, je n'en dors pas la nuit par peur de gaffer.

— Wellington... je souffle presque dans un murmure.

— L'entreprise de viande Wellington ? demande-t-il, incrédule.

— C'est ça !

— Tu plaisantes, Babette ?

— Nan...

— Mais tu ne vas pas travailler pour ces vautours ! Après le coup que tu leur as mis, pourquoi veulent-ils te recruter ? Tu leur as fait perdre pas mal de millions, tout de même !

Ouaip et j'en suis fière.

J'ai quelques dossiers à compléter sur d'autres de leurs entreprises et je vais bientôt frapper fort à nouveau. Néanmoins, je reste très discrète.

Une influenceuse américaine végétalienne vient d'être retrouvée morte. Les circonstances de son décès sont troublantes et jamais je n'aurais conclu à un suicide. Malheureusement, il y a des pourris partout et trop de gens sans grandes convictions.

— Justement, ils me proposent d'étudier l'ouverture d'une gamme végane.

Ben siffle dans mon oreille et j'éloigne mon téléphone pour ne pas devenir sourde.

— Tu y crois vraiment, Bab ?

Je hausse les épaules, me demandant moi aussi à quel point ils sont sérieux.

— Ils me font une belle offre. Je suis à sec, Ben, et je n'ai pas réussi à payer le premier trimestre d'Annette.

Et clairement, je dois trouver rapidement de la tune, alors je ne peux pas cracher sur cette proposition.

— Laisse tomber ce projet, ça pue ! grogne Benjamin. Viens plutôt travailler avec moi.

Et perdre ma liberté ? Pas question !

— Non, je vais faire attention, et surtout je vais négocier un meilleur salaire encore que ce qu'ils me proposent !

Son silence ne me dit rien qui vaille.

— Finalement, tu vas te laisser acheter ? crache-t-il.

— Absolument pas ! J'ai prévu de continuer à enquêter de l'intérieur pour les enterrer définitivement. J'arriverai bien à glaner de nouvelles preuves, et je vais leur piquer leur fric au passage !

— Je ne la sens pas, ton affaire ! Tu vas encore te crever le cul à la tâche pour de piètres résultats. Comment veux-tu descendre l'empire de la viande ? On parle des Wellington, là, Babette !

Il m'agace. J'ai une mission et je suis prête à y passer ma vie, car si personne ne fait rien, que va-t-on devenir ?

Je ronchonne qu'il n'a qu'à venir me chercher à 18 h dimanche, ça suffira bien pour l'entendre me seriner toute la soirée la soi-disant voix de la raison. Un comportement de plus que je ne supportais plus de sa part.

Personne ne m'enlèvera ma liberté de penser.

Personne ne me dictera la bonne manière d'agir.

Je n'ai qu'un compagnon : mon bocal de kéfir !

Irrésistible ennemi : Une romance ennemies to lovers addictiveWhere stories live. Discover now