[FOUR] L e n a

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Ce type est totalement fou. Il est bon pour un hôpital psychiatrique, à ce rythme. C'est à cela que j'ai songé lorsque nous avons couru tous les deux dans les couloirs du lycée, et qu'il voulait, d'après lui, m'amener quelque part.

Ce qui m'énervait le plus, dans tout ça, c'est qu'il faisait comme s'il ne s'était rien passé. Comme si toutes ces années qu'il avait passé à me harceler, me traiter de tous les noms, n'existaient pas. Comme si les cicatrices sur mes bras n'en étaient pas la preuve.

Il paraissait me détester, quand même. Mais je ne voulais pas qu'il me déteste. Je ne voulais pas être son ennemie. Parce que si j'étais son ennemie, ça voulait dire qu'il avait une place dans mon cœur, et que j'en avais une dans le sien. Le terme « ennemi », c'était puéril, enfantin, affectueux. Il n'était pas mon ennemi. Je le refusais. Il était quelqu'un qui n'avait pas de case, tellement mon estime de lui était basse.

Pourtant, à le regarder, malgré les foudres, les piques, les regards noirs qu'il me balançait quotidiennement en pleine tête, et ce depuis l'école maternelle, je savais qu'il ne pensait pas comme moi. Ma repartie avait don de l'énerver, mon masque de fille sûre l'intriguait et il ne me supportait pas. Sauf que voilà, il me détestait, mais il ne me haïssait pas, et c'était un problème.

— Wheeler, tu nous fait quoi, là ? j'ai crié.

Je n'aurais pas dû le suivre. Dès qu'il m'a dit de « profiter », je l'ai compris. Mais je n'ai pas pu m'en empêcher. J'ai un orgueil, et celui-ci a été piqué au vif lorsque mes parents n'ont pas répondu à mes appels. Et quand il m'a traitée, encore une fois, d'intello. Je croyais qu'il avait arrêté ces enfantillages, visiblement, non. Alors je l'ai suivi, parce qu'il le fallait.

— Suis-moi je t'ai dit ! Tu vas voir ! a-t-il gromellé.

J'ai donc continué de courir pour le rattraper.

Nous sommes arrivés au bout du couloir, devant la porte d'une pièce. La salle des profs.

— Wheeler, rassure-moi, tu plaisantes ?

Je ne savais pas ce que j'espérais. J'étais très curieuse et en même temps... C'était impossible !

— Non, Raven. Allez, rentre.

— T'as peur de rentrer en premier ? Je te pensais plus courageux !

— Je veux seulement être sûr que tu ne vas pas me planter seul dans la salle des profs pour aller à la cantine sans moi.

L'idée était tentante, pourtant je me suis engagée dans la pièce.

Elle n'était vraiment pas comme je l'avais imaginée. En fait, je ne savais pas vraiment ce que j'avais imaginé. Sûrement un lieu sobre, dénué de toute émotion, sérieux. Eh bien, je n'aurais pas pû plus me tromper. Les murs étaient repeints en bleu électrique sur un mur, et en blanc sur les autres (quand je dis « repeints », je suis sûre que je ne me trompe pas étant donné que le reste du lycée est gris clair et que les ouvriers n'affluent pas à Blue Springs).

Charlie a poussé un soupir enthousiaste digne d'un élève de maternelle et est rentré dans la pièce, son habituel sourire narquois collé sur le visage, celui que j'ai envie d'effacer depuis l'école. Mais aujourd'hui, j'ai trouvé qu'il lui allait plutôt bien. Bon, étant donné qu'il était... moche, tout pourrait le rendre plus beau.

— Wheeler, on peut partir sinon..., ai-je proposé.

C'était évidemment vain. Il m'a regardée comme si j'étais une extraterrestre et à murmuré qu'il aurait préféré rester ici avec « Deborah plutôt qu'avec cette coincée de Raven ». On se serait attendu à ce que je tilte en entendant le mot « coincée ». Eh bien non, malheureusement. C'est à l'entente du prénom Deborah que mon cœur a fait un saut très douloureux dans ma poitrine. J'ai du retenir une grimace pour ne pas montrer que je ne comprenais pas ce qu'il se passait.

Alors, je ne sais de quel élan, j'ai décidé de rester et même de faire quelque chose dont je n'aurais pas été capable.

Enfin, je pensais ne pas en être capable.

J'ai contourné la table et me suis empressée de fouiller un tas de copies dessus.

— Wheeler, t'as eu quatre en littérature, ai-je annoncé avec un sourire moqueur, celui que j'ai plus l'habitude de voir sur son visage, mais pas sur le mien.

Il m'a regardée d'un air surpris, comme si j'avais dit que mon livre avait muté en éléphant.

— Euh, tu vas bien ?

Mon cœur s'est arrêté de se tordre et a retrouvé sa place dans ma poitrine. Il s'inquiétait pour moi. Je n'ai pas sourcillé lorsqu'il s'est approché de moi l'air soucieux.

— Oui, ai-je fait, la voix étrangement aiguë. Tu es satisfait de ton quatre, du coup ?

Il a retrouvé son sourire et a haussé les épaules avant de s'avancer pour regarder sa copie.

— Oui. Enfin non.

Une lueur de défi est passée dans son regard quand il a relevé la tête. Et je ne peux jamais refuser un défi.

— Alors on peut y remédier.

J'ai cru voir un haussement de sourcils surpris mais je me suis détournée.

— T'es sérieuse, Raven ?

En guise de réponse, j'ai pris le stylo rouge posé près du tas de copies et j'ai commencé à gribouiller les endroits avec les points à compter (pas nombreux, d'ailleurs), faute de blanc correcteur. J'ai remplacé le quatre par un quatorze. Ça semblait être la note la plus raisonnable. C'était une chance que la professeure ne s'embête pas à mettre des commentaires dans la marge, comme la plupart des profs, car ça aurait été plus compliqué.

Après avoir fait quelques corrections, c'était fini. Mrs. Falling n'y verrait que du feu.

Wheeler m'a de nouveau regardée bizarrement, et ça a eu don de me mettre mal à l'aise.

Il a fini par prendre sa copie, puis l'a reposée, frôlant ma main. Des milliers de frissons ont pris possession de mon épiderme. J'ai essayé de repousser cette sensation en mettant une distance entre nos deux corps. Il m'avait plus traumatisée que je ne le pensais.

— Merci. C'est... sympa.

J'ai hoché la tête, gênée à présent. Je ne savais pas ce qui m'avait poussée à l'aider. Et j'avais peur.

— Avec plaisir.

Je me suis raclé la gorge et je me suis détournée avant d'avoir pu continuer à dire n'importe quoi. Punaise. Il fallait que je trouve une excuse pour elle en colère contre lui, ça n'allait pas du tout. C'était de sa faute si on était là, dans cette situation.

Je suis finalement sortie des toilettes où je m'étais réfugiée et j'ai rejoint la salle des profs. Il n'était plus là, évidemment. J'allais faire demi-tour lorsqu'une voix m'a interpellée.

— On cherche quelqu'un ?

J'ai sursauté en voyant le visage de Wheeler se dessiner derrière moi.

— Je... Toi ! Tout est de ta faute !

Ses yeux bleus se sont agrandis et un sourire provocateur a germé sur son visage.

— Pourtant, Raven, j'ai l'impression que tu as apprécié.

Je le hais.

~Plagiat interdit~

≈1130 mots

Publication le 23/04/23

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now