[TWENTY] L e n a

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Lorsque je suis sortie du gymnase, il n'y avait aucune trace de Wheeler dans les parages.

J'ai donc marché quelques instants dans les couloirs du lycée. Je ne les avais jamais vus aussi tristes. Ils étaient vides, dépourvus de toute trace d'animation, et je me rendais compte qu'ils étaient bien plus vieux et décrépis que je ne le pensais.

Et surtout, sans Wheeler, je ne savais pas quoi faire. C'était toujours lui qui avait les bonnes – ou pas, d'ailleurs – idées. C'était grâce à lui qu'on s'amusait, en fait. Quand bien même sa présence déclenchait en moi plein de réactions dont j'aurais préféré me passer.

Quand je dis « quelques instants », c'est parce qu'une tignasse brune est arrivée, un sourire narquois fixé au visage. Il me regardait différemment, c'était clair. 

Peut-être à cause de ce qu'il avait vu dans la salle de bain ? J'ai rougi à cette pensée, en priant pour qu'il n'ait pas menti lorsqu'il a dit qu'il n'avait pas vu grand-chose. 

— Alors, Rav, on ne sait pas quoi faire sans son Wheeler d'amour ?

J'ai roulé des yeux, très irritée pour une raison qui m'échappait. Toutes les raisons m'échappaient, en ce moment.

— Je peux parfaitement me débrouiller et m'occuper sans toi, ai-je menti d'une voix cassante qui m'a surprise moi-même.

— Ah, attention, la gentille petite Rav va nous piquer une crise, a-t-il soupiré en levant exagérément les yeux au ciel.

Il commençait sérieusement à m'énerver, lui et ses surnoms ridicules, ses réactions débiles, sa façon de parler, sa façon de faire battre mon cœur plus vite alors que je ne voulais pas. C'était ça. Je ne voulais pas ressentir pour lui ce que je ressentais. Pourquoi la première personne dont je tombais amoureuse était lui ? Pourquoi pas un autre ? Tiens, par exemple Shane, un bon ami à Heaven et moi. Ou alors une personne lambda dans ma classe. Mais pas Wheeler !

— Je ne pique pas une crise, je veux juste te rappeler que je n'ai pas besoin de toi. Je n'ai jamais eu besoin de toi.

Huit lettres. Immature. J'étais complètement immature.

— Je le sais ça, ce n'est pas ce que j'ai d... Oh et puis merde, je m'en fous ! Le sentiment est partagé, Raven, je te déteste. 

— Ça tombe bien, moi aussi !

— C'est bon, tu as fini ?

— Quoi ? Non !

Sauf que je n'avais rien d'autre à dire. Finalement, je n'avais pas beaucoup à lui reprocher. Il s'était montré gentil, et quand bien même nous avions fait un pari, il n'essayait pas de me faire avouer ce que je ressentais à chaque fois qu'on se croisait. Bref, c'était un colocataire plutôt agréable. Mais sans plus.

— Alors vas-y, continue, a proposé Wheeler.

— T'es qu'un connard, Wheeler.

— Ah bon. (Il a croisé les bras sans se départir de son sourire.) Et pourquoi ? J'ai fait quelque chose de mal ?

Oui, je suis tombée amoureuse de toi !

— Oui, tu...

— Je...?

J'ai soupiré et, telle une actrice qui a fini de jouer son rôle, j'ai levé les yeux pour les braquer dans ceux de Wheeler. Il n'a pas essayé de les baisser, il s'est seulement contenté de me regarder encore plus intensément.

— Je n'arrive plus à te haïr, Wheeler, ai-je murmuré.

— Moi non plus, Rav.

— Comment on fait, alors ?

— On fait comme depuis très longtemps, on fait semblant.

— Oui, c'est mieux comme ça.

Je n'aurais jamais cru avoir cette conversation avec lui. Et pourtant, c'était bien réel, et nous avions bien réduit la distance d'un centimètre maximum au fur et à mesure que nous parlions. Je soupçonne d'ailleurs aujourd'hui Wheeler d'avoir été à l'origine de ce rapprochement physique. Mais pour l'heure, j'essayais juste de ne pas le prendre dans mes bras, ce qui s'avérait plus difficile que ce que je pensais.

— Alors, tu me pardonnes ? a-t-il demandé du bout des lèvres.

— Pardonner quoi ? Je n'ai rien à te pardonner, Wheeler, ai-je dit si bas que, si quelqu'un avait été là à ce moment, il n'aurait rien entendu.

Bien sûr que si, il t'a harcelée pendant des années ! Tu es vraiment bête.

— Tant mieux.

Je me suis un peu plus rapprochée de lui. Jusqu'à ce moment. Celui où je me suis souvenue que son seul intérêt était de gagner le pari, et qu'il n'y avait aucun espoir qu'il m'aime réellement. En fait, je suis revenue à la réalité. Et quand mes lèvres allaient se poser sur les siennes, je me suis forcée de reculer jusqu'à arriver contre le mur le plus proche. Une étincelle a brillé dans ses yeux pendant une petite seconde, mais il s'est abstenu de dévoiler son sourire narquois, cette fois-ci. Peut-être avait-il compris que je me trouvais dans une situation délicate.

Une façon simplifiée de dire que j'étais au bord du gouffre.

— Je me disais, aussi, que tu reprendrais tes esprits. Par contre, je croyais que tu les reprendrais plus tôt. Tu sais ce que ça veut dire, ça ?

— De quoi ?

Mon cerveau ne cessait de m'envoyer la même chose, incessamment : son but était de me faire craquer. Il l'avait même affirmé juste avant. Je n'arrivais pas à me concentrer.

— Que tu es tombée sous mon charme légendaire !

Sourire narquois : le retour. Est-ce qu'il savait sourire normalement, parfois ?

— Non !

J'ai grimacé pour ponctuer mon mot. Il n'y a pas cru, forcément. Pendant un moment, j'ai même pensé qu'il allait recommencer à me « tester ». Mais non. Il s'est contenté de me regarder comme si j'étais l'humaine la plus bizarre et amusante du monde. Ce que je devais être, au fond.

— Tu sais quoi, Rav ?

— Oui ?

— Je vais faire semblant de te croire pour l'instant, parce que j'ai franchement la flemme. 

— Ah euh... Merci ?

— Mais de rien Rav d'amour !

~Plagiat interdit~

≈960 mots.

Publication le 02/04/23

/Petit chapitre, mais plaignez-vous à mon moi d'il y a six mois TT/

Seulement deux SemainesWhere stories live. Discover now