[TWELVE] C h a r l i e

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Raven avait des sentiments pour moi, c'était officiel. 

J'avais pris la fin d'après-midi pour réfléchir, et même si j'avais voulu me persuader du contraire, ça paraissait tellement évident. J'étais en ce moment-même assis sur une des marches de l'escalier qui menait à l'étage, le regard perdu dans le vide, la tête ailleurs.

J'ai entendu des bruits de pas derrière moi. Elle était là, dans son tailleur vert rehaussé des coups de feutres et de peinture, qu'elle n'avait pas pris la peine de laver, sauf sur son visage – ovale d'ivoire tranchant sur les flammes de ses cheveux longs.

Je devenais poétique, maintenant. Je me suis réprimandé intérieurement, ce n'était pas du tout le moment de faire des vers.

Elle s'est approchée, s'est assise près de moi, sans un mot. Elle sentait la nature, les citronniers l'été, la liberté, la mer. Ce n'était pas une odeur entêtante comme celle de Deborah – un parfum Chanel insupportable –, mais plutôt une fenêtre vers d'autres mondes, mondes auxquels je pensais ne jamais accéder.

— Ça va ? j'ai demandé, ne sachant que dire.

Elle avait l'air déprimée, un peu triste, mais un petit sourire est venu illuminer ses traits face à ma question.

— Ça va plutôt bien, oui. Et toi ?

Du Raven tout craché, ça. Ne pas pouvoir répondre à une question avec simplicité, toujours rajouter des formes. Je me suis retenu de lever les yeux au ciel. Pas parce que cela risquerait de la vexer, mais parce que je n'étais strictement personne pour juger la façon dont elle parlait, même si je réalisais que je l'avais déjà fait plein de fois.

— Oui.

Et ça, c'était moi. Toujours en dire le moins possible. De toute façon, qui écouterait ? Quand quelqu'un te demande si tu vas bien, dans quatre-vingt-dix-neuf pourcent des cas, c'est pour entendre un oui et engager une conversation. Un non, ça enclenche des blancs, des sourires gênés et des « Oh, je suis désolé pour toi. » souvent hypocrites.

C'est pour ça qu'on était si différents. Et pourtant, elle avait réussi l'exploit de nourrir des sentiments à mon égard. Sûrement qu'elle ne le savait pas encore. Les filles, c'est tellement compliqué. Je le pense toujours, je n'arriverai jamais à comprendre comment elles fonctionnent. 

Le plus dur, c'était de mettre des râteaux. Parce que justement, elles te guettaient, vérifiaient qu'il y avait espoir, et quand elles en étaient persuadées – grâce à leur bande de copines qui leur donnait assez de confiance –, elles se déclaraient. Et là, tu te retrouvais au milieu d'un groupe de folles qui jouent les conseillères matrimoniales à temps plein, devant la fille qui venait de t'avouer son amour profond et inconditionnel, et tu devais gentiment l'éconduire, sauf si tes potes étaient là, auquel cas tu te devais d'être aussi brusque que ma mère quand elle préparait son café le matin, question de virilité apparemment. Bref, j'espérais sincèrement que je n'aurais pas ça à dire à Raven. 

Même si j'en doutais fortement, étant donné que Raven était Raven, et Raven était beaucoup trop fière pour déclarer ses sentiments.

— Hum... Tant mieux.

J'ai remarqué qu'elle était toujours là. Enfin, je ne l'avais pas oubliée, mais j'avais tendance à être un peu trop dans mes pensées.

— Tu as de la peinture vraiment partout, ai-je fait avec un petit sourire.

Elle a baissé les yeux sur ses vêtements.

— Je me demande à qui est la faute !

Elle a souri à son tour mais ses yeux glacés, d'une couleur indescriptible et étrange, se sont posés sur moi avec une expression étrange – colère et amusement.

Ok, ça sentait clairement la tempête.

— Vas-y.

— Pardon ?

— Bah vas-y, je sens que tu as envie de t'énerver contre moi. Donc je t'en prie.

Elle a entortillé une mèche de ses cheveux autour de son index. C'était vraiment un tic, apparemment.

— Tu es sérieux, là ?

— Bien sûr.

Elle m'a regardé avec des yeux ronds, de ceux qui font rire rien qu'à les voir. Mais je n'ai pas ri. J'ai regardé dans le vide en attendant qu'elle commence. C'était ma passion. Regarder dans le vide.

Il s'est passé quelques secondes – des minutes, peut-être ? – avant qu'elle reprenne.

— Euh, le feutre... Tu m'en as mis partout !

Elle avait l'air tellement gênée et mal à l'aise, c'en était presque drôle. 

— Désolé. 

À ce moment-là, je ne sais vraiment pas ce qu'il s'est passé dans sa tête. Mais elle a froncé les sourcils et a débité très vite :

— Désolé ? DÉSOLÉ ? Désolé de quoi ? De nous avoir enfermés pendant deux semaines ? D'avoir foutu en l'air ma vie pendant des années ? D'avoir sali le seul tee-shirt que je pourrai porter pendant ces deux semaines ? D'être pénible, débile, mais d'arriver à te créer une place à Blue Springs ? De quoi es-tu désolé, Wheeler ?

Je l'ai regardée en face et elle a détourné les yeux. Elle n'était peut-être pas aussi assurée qu'elle prétendait l'être, finalement. Pourtant, son discours m'est revenu à la tête et j'ai buté sur une phrase.

— J'ai foutu en l'air ta vie, moi ?

Dire qu'elle m'a fusillé du regard serait un bel euphémisme. Elle m'a littéralement étranglé, poignardé, assommé et égorgé du regard. J'avais dit une bêtise, visiblement.

— Mais Wheeler, t'es con ou quoi ?

— Première fois que je t'entends dire autant de vulgarités en quelques secondes d'intervalle. On avance. Pour répondre à ta question, non, je ne suis pas con. Je crois. C'est à vérifier.

Je ne sais pas si c'est à ces mots qu'elle a pété les plombs, ou si elle l'avait déjà fait avant.

En tout cas, elle s'est approchée de moi et allait me mettre la gifle du siècle – apparemment, c'était sa seule arme de défense puisqu'elle l'avait déjà utilisée – quand...

Sa main est retombée. Elle a repris sa place le long de son corps. Raven était à quelques centimètres de moi, un air de perdante fixé au visage. Comme si elle avait échoué à un défi intérieur, que je ne connaissais pas. Mais sans doute comprenait-il de m'assassiner avec des mots et des regards. Et de me gifler.

— Pourquoi t'es comme ça ? a-t-elle murmuré.

— Je suis comment ? 

— Affreusement pénible, fantastiquement égoïste, fabuleusement débile, mais je continue à me dire qu'il y a quelque chose de bien dans toi. Parce que tu es drôle, plutôt gentil et b...

Elle a immédiatement mis une main devant sa bouche, quand bien même elle savait que le mal était fait.

— Tu me trouves beau, Raven ? 


~Plagiat interdit~

≈1060 mots

Publication le 13/05/23.

Seulement deux SemainesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora